Jeune prodige espagnol, Alejandro Amenabar signe avec Les Autres un
magnifique conte gothique à l'ancienne et son premier succès hollywoodien.
Il nous parle de son expérience avec son producteur Tom Cruise et son
actrice Nicole Kidman.
Jean Paul Sartre disait "L'enfer, c'est les autres..."
Alejandro Amenabar: Ah bon! (rires) Tout le concept de l'altérité,
de l'aliénation est très intéressant. Je ne dirais pas
qu'il équivaut à l'enfer. Je suis assez sceptique sur la dichotomie
enfer/paradis. Mais le concept de l'autre est très important pour moi
et on le retrouve dans mes trois films.
Comment vous est venu ce titre?
En fait, la première histoire que j'ai écrite pour ce film s'intitulait,
en espagnol, "La Maison". Mais en anglais, ça ne sonnait pas
terrible. Je me suis alors souvenu de cet autre titre, et le producteur l'a
trouvé très bon.
Vous avez qualifié le style de ce film de "classique".
Qu'entendez vous exactement par "classicisme" dans le cinéma
d'aujourd'hui?
J'ai adoré tourner ce film dans le style des films des années
40 et 50. J'ai même pensé un moment le tourner en noir et blanc.
Je voulais un esprit classique. Je pensais que l'histoire le demandait. Aussi,
je pense que la simplicité est l'apanage de la plupart des grands films.
Et la simplicité peut se trouver dans le classicisme. Je voulais donc
tourner ce film d'une manière très sobre, feutrée, et jouer
beaucoup plus avec la complexité des personnages qu'avec les mouvements
de caméra.
J'imagine qu'il était très important pour vous de trouver
une actrice possédant un "visage d'époque". Nicole Kidman
a t-elle un visage qui correspond aux canons du cinéma classique?
Complètement! La chose qui m'a vraiment impressionné quand je
l'ai vue pour la première fois, c'étaient ses yeux. Il y avait
un pouvoir immense dans ses yeux. Et j'ai pensé qu'on n'avait jamais
vraiment vu ce pouvoir dans aucun de ses films. J'ai donc demandé au
directeur de la photographie de toujours mettre en relief cet incroyable regard.
Nicole a un visage qui exprime aussi une certaine fragilité. Et en lui
mettant cette perruque qui dévoilait son cou, on a vraiment pu renforcer
le look glamour de son personnage.
Le rôle avait-il été écrit pour elle?
Non. Je n'avais personne de particulier en tête en écrivant le
scénario. A l'origine, j'ai écrit le scénario en espagnol
et l'histoire se déroulait dans un pays d'Amérique Latine. Maintenant,
quand je vois le film, je me dis: "Ce personnage a été écrit
pour elle!" Mais je ne pensais pas à elle quand j'ai écrit
le scénario.
Comment est-elle arrivée sur le projet?
Tom Cruise avait acheté les droits de remake d'Ouvre les Yeux,
mon second film. Le remake a été réalisé par Cameron
Crowe et s'intitulera Vanilla Sky. Ensuite, j'ai écrit le scénario
de ce film et nous l'avons envoyé à quelques compagnies de production
aux Etats Unis. Et finalement, c'est Tom Cruise qui s'est déclaré
intéressé. Nous nous sommes donc rencontrés, et là,
tout s'est mis en route très, très vite. Nous avons convenu qu'il
serait le producteur exécutif du film. Nicole a déclaré
qu'elle était prête à jouer le rôle, et j'ai pensé:
"Génial!" Et tout s'est donc mis en place extrêmement
vite.
Avez-vous rencontré des difficultés dans vos rapports de travail
avec Nicole Kidman? C'est tout de même une star...
S'il y a bien une chose qu'on ne peut nier, c'est qu'elle est une star. Elle
vit dans un monde de stars. Mais cela ne veut pas dire qu'on ne peut travailler
avec elle, ni qu'elle ne respecte pas votre travail. Notre relation s'est donc
fondée sur un absolu respect mutuel. Nicole Kidman est une femme d'une
grande intelligence et sensibilité, et pendant le tournage j'étais
ouvert à toutes ses suggestions. Pas parce qu'une star me disait quelque
chose, mais parce qu'une femme intelligente me proposait un dialogue ouvert
et constructif. Aussi, elle savait que Les Autres était un film
reposant sur une vision très personnelle, et sur le suspense, et pour
cela elle me faisait entièrement confiance.
Vous avez traité le genre fantastique plus sérieusement qu'il
n'est traité depuis plusieurs années...
J'aime l'humour, l'ironie, et je pense qu'en voyant le film plusieurs fois,
les gens y découvriront plusieurs niveaux de lecture. L'humour est en
tout cas une très bonne façon de catalyser la tension.
Vous êtes-vous jamais senti claustrophobe en arpentant tous les jours
votre décor, votre maison?
En fait, quand je tournais mon second film, qui se déroule dans plusieurs
endroits, j'ai pensé: "J'aimerais vraiment tourner un film dans
un seul endroit, avec une poignée de personnages, et jouer sur les émotions
d'une manière très primale". Quand j'en parle avec mes amis,
ils me disent toujours que j'y pensais depuis un certain temps.
La musique, et surtout les silences, ont une grande importance dans ce film...
C'est quelque chose de très intuitif quand on travaille sur le suspense
et les émotions. Je pense que dans la plupart des films d'horreur aujourd'hui,
le niveau sonore est beaucoup trop élevé. On essaie à tout
prix d'impressionner les spectateurs en mettant le volume au maximum! On ne
respecte pas assez l'imagination et l'espace intime des spectateurs. C'est quelque
chose que j'entendais en tout cas bien faire en réalisant ce film, pour
qu'ils soient complètement accrochés par l'histoire et les personnages.
Au début, ce n'était pas intentionnel. J'essayais juste de penser
au film en tant que spectateur et d'imaginer ce que j'aimerais voir. Et puis,
cela est devenu ma ligne de conduite. Et il semble que le film ait vraiment
touché l'inconscient du public américain cet été.
Ce qui n'était pas évident du tout. Au début, j'étais
inquiet du fait que le film allait être découvert par un public
américain. C'était un public à double-tranchant. Mais il
semble que les spectateurs américains l'aient vraiment apprécié.
Avez-vous vu le film en salle avec eux?
Oui, pour la projection test, je suis resté dans la salle quelques minutes
avec le public. Pendant 5 minutes, j'étais terrifié ! Pas par
mon propre film, mais par leurs réactions! (rires) Mais ça s'est
bien passé.
Puisque le film traite aussi des peurs enfantines, j'aimerais que vous me
racontiez une des vôtres...
(sourire) J'étais un enfant très peureux! J'avais peur des couloirs,
de l'obscurité. Et une fois, j'ai du passer toute une nuit dans mon école.
Il y avait une autre personne avec moi, mais j'étais vraiment très
effrayé! Mais après ça, j'étais changé! Je
crois que cela m'a en fait guéri de toutes mes peurs! (sourire)
Entretien réalisé au Festival de Venise et aux
European Film Awards par Robin Gatto