Entretien avec
Andrew Dominik, réalisateur de Chopper
Il est grand blond,
avec des allures de surfeur abonné aux vagues hawaïennes. On lui
donnerait presque le Bon Dieu sans confession. Pourtant, en Australie, Andrew
Dominik est un vilain garnement. C'est en effet lui et persone d'autre qui a
osé commettre un film sur le criminel le plus médiatique d'Australie,
Mark Read, dit "Chopper", le "découpeur", parce qu'il
découpait les orteils de ses victimes. "Chopper
a été un film très dur à réaliser" souligne
Dominik. "Il y avait des factions pour, et des factions contre. Et le projet
a finalement pris 7 ans..." 7 ans de réflexion très bénéfiques,
puisqu'à l'arrivée, Dominik signe un premier film magistral et
se voit récompensé avec son acteur par 3 Césars Australiens
et l'inestimable Grand Grix du Festival
de Cognac...
Qu'est ce qui
vous a donné envie de faire du cinéma?
Je ne sais pas
trop... Quand j'étais petit, je voyageais beaucoup avec mes parents,
tous les ans je changeais d'école. Et j'ai toujours regardé beaucoup
de films, alors peut-être que tout ça a contribué à
ma vocation...
Quels sont les
films que vous aimez?
Raging Bull,
La Nuit du Chasseur, La Ballade Sauvage, Blue Velvet, La
Dame du Vendredi... tout les bons films, en fait! (rires)
Dans le dossier
de presse de Chopper, vous dites vous intéresser aux crimes sans
mobile apparent. Pourquoi précisément ce type de crimes?
Parce que je pense
que les crimes sans mobile sont très révélateurs de la
dynamique mentale d'une personne, ce sont des crimes symboliques qui révélent
beaucoup plus la personnalité du meurtrier que les crimes motivés
par l'argent, etc. En général, les auteurs de crimes sans mobile
sont des mythomanes en puissance, et je les trouve assez intéressants
pour cette raison.
L'enfance de
Chopper a du être assez rude. Mais vous avez choisi de ne pas beaucoup
la montrer dans le film. Il y a bien quelques scènes avec le père,
que l'on devine assez violent, mais la mère reste absente du film...
Eh bien, sa mère
était une adepte de l'église adventiste du septième jour
et son père un commotionné de guerre. Il a donc été
élevé dans un véritable théâtre, si vous voyez
ce que je veux dire. D'un côté, il y avait Dieu, la bible, et de
l'autre un père très violent. Ses deux parents étaient
très perturbés mentalement.
J'ai lu dans un
de ses témoignages qu'il avait attaché beaucoup d'importance à
la religion jusqu'à l'âge de 16 ans, jusqu'au jour où il
a pris sa première cuite. Il a dit que ç'avait été
comme une libération, un exutoire à tous ses conflits intérieurs.
Et ç'a été le jour de sa première arrestation, après
qu'il ait frappé quelqu'un très violemment.
Je dois ajouter,
pour répondre à votre question, que je ne voulais pas montrer
l'enfance de Chopper dans le film. Cela aurait revenu à dire que n'importe
quelle personne maltraitée dans son enfance est un Chopper en puissance.
Ce qui m'intéressait, c'était de montrer qui est vraiment Chopper,
pas l'enfant, mais l'adulte, et comment il est pris au piège de son propre
passé de violence. C'était beaucoup plus intéressant de
montrer ça que de montrer un petit Chopper battu dans son enfance se
mettre à battre les autres à son tour en grandissant. Mais je
pense que les stigmates de son enfance apparaissent assez bien dans son comportement
et dans ses relations avec les représentants de l'autorité.
Chopper
a t-il été un projet difficile à monter?
Chopper
a été un film très dur à réaliser, parce
que c'est un sujet très controversé en Australie. Chopper est
une personne réelle, donc certaines victimes sont encore vivantes. Et
c'est aussi un personnage très connu, dont les livres sont des best-sellers.
Donc il y avait des factions pour et contre le film. En Australie, les films
sont financés en partie par le gouvernement et en partie par les distributeurs.
Donc, d'un côté, il y avait le gouvernement qui avait très
peur qu'on fasse un portrait à la gloire de Chopper, et de l'autre les
distributeurs qui craignaient que le film ne soit pas assez sensationnel! C'était
une situation très difficile, il y avait beaucoup de maîtres qui
réclamaient obédience!
Sinon, en règle
générale, tous les premiers films sont durs à faire. Il
y a des moments où le projet décolle, puis il s'effondre, puis
il redécolle et s'effondre à nouveau... Mais à la longue
on finit par s'y habituer. En fait, ma productrice Michelle Bennet et moi-même
en étions arrivés à un point où plus rien d'autre
ne comptait dans notre vie que le film, donc il fallait qu'on le fasse quoi
qu'il arrive! (rires) Et ce projet a finalement pris 7 ans, de l'achat des droits
jusqu'au dernier tour de manivelle!
Chopper
est un film très travaillé visuellement, mais cela n'affecte jamais
le jeu des acteurs. Comment avez-vous réussi à préserver
un tel équilibre entre le style et les acteurs?
La définition
visuelle du film ne m'a pas posé beaucoup de problèmes. Venant
du clip et de la pub, je sais concocter toutes sortes de tours visuels. Mais
pour Chopper, même si c'était moi qui composait tous les
plans, j'ai vraiment voulu rester très concentré sur la direction
d'acteur. De plus, le style visuel du film est en grande partie né des
conditions et des lieux de tournage. Quand le temps faisait défaut pour
tourner une scène, il fallait bien trouver l'éclairage le plus
adéquat et le plus rapide. Aussi, le style s'adapte souvent aux acteurs.
Comme la plupart des acteurs étaient assez peu expérimentés,
j'ai tourné beaucoup de gros plans, pour pouvoir ensuite composer leurs
personnages au montage.
Pour le rôle
de Chopper, vous avez choisi Eric Bana, un comique très connu en Australie...
Pour Eric, le rôle
de Chopper était vraiment quelque chose d'inattendu, car il officie d'habitude
dans le comique, le one man show. Nous avons vu pas mal d'acteurs pour Chopper,
et nombre d'entre eux étaient très bons, mais être bon ne
suffisait pas pour le rôle, il fallait vraiment être Chopper,
parce que tout le monde sait en Australie à quoi il ressemble, comment
il parle. Et en fait, c'est Chopper lui même qui nous a suggéré
Eric. Au départ, on a pensé que c'était une idée
complètement folle, et puis on a fait des essais avec Eric, et on a trouvé
qu'il dégageait vraiment quelque chose... Evidemment, il a fallu beaucoup
travailler le rôle, il n'est pas juste venu au casting en étant
déjà Chopper.
Pour les besoins
du rôle, Eric Bana a même du prendre du poids...
Oui, nous avons
d'abord tourné la partie du film se déroulant dans la prison,
où Eric est plutôt mince, puis nous avons fait une pause pour lui
permettre de faire son régime grossissant à base de bière!
Ce n'est qu'ensuite que nous avons tourné toute la seconde partie du
film.
Parmi les scènes
de prison, il en est une, stupéfiante, où Chopper se fait poignarder
dans le ventre par son ami, et il continue de lui parler en ne ressentant aucune
douleur...
C'est quelque chose
qui s'est vraiment produit de cette manière. Il pensait que son ami lui
donnait des coups de poing dans le ventre, et puis il a réalisé
que c'étaient des coups de poignard. Il n'a ressenti aucune douleur pendant
5 minutes, mais c'est quelque chose de normal, il arrive que quand on se casse
une jambe ou quelque chose, on ne ressente aucune douleur pendant plusieurs
minutes. J'aime beaucoup cette scène, non parce qu'elle montre Chopper
comme un véritable superman, mais parce qu'on voit vraiment qu'il refuse
l'idée que son ami a pu le trahir, malgré les nombreux coups de
poignard!
Pour les scènes
de prison, vous avez tenu à tourner avec de vrais prisonniers...
Oui, mais c'était
aussi pour des raisons économiques, parce qu'ils étaient déjà
tous tatoués! (rires) Cependant, certains se sont révélés
très bons comédiens et on leur a donné des petits rôles
dans le film. Les prisonniers étaient un peu comme des grands enfants,
ils adoraient faire des bêtises, blaguer. En fait, on s'est beaucoup amusés
avec eux.
Un autre trait
marquant de la personnalité de Chopper, c'est sa relation passionnelle
avec les médias...
Oui, il est comme
un orphelin à la recherche de nouveaux parents. Il sollicite l'attention
qui lui a été refusée quand il était petit, et il
la recherche tellement à l'âge adulte que ça en devient
grotesque. L'attention que vous porte les médias n'a rien d'intime, ça
n'apporte aucun réconfort personnel, ça vous isole encore plus.
L'attention que Chopper demande, il la trouve en se livrant à une véritable
performance de cirque, en jouant ce personnage de Chopper qui n'a pas grand
chose à voir avec qui il est vraiment. Donc sa célébrité
a quelque chose de triste, de solitaire.
Vous avez d'ailleurs
choisi de terminer le film sur un plan très sobre, un travelling arrière
abandonnant Chopper à sa solitude dans sa cellule de prison...
Ce plan parle vraiment
des conséquences de la violence. Ce n'est pas la prison, parce que Chopper
se sent très à son aise dans l'univers carcéral. La conséquence
réelle de sa violence est la solitude. Il est comme marqué au
fer rouge et mis au ban de la société. En termes de rapports affectifs,
émotionnels, personnels, il est seul avec lui même. C'est pourquoi
j'ai choisi de terminer le film sur ce plan.
Pour les besoins
du film, vous êtes allé jusqu'à rencontrer Chopper en prison.
Quelle impression avez-vous gardée de lui?
C'est une personne
vraiment compliquée, son humeur change sans arrêt, ce qui a beaucoup
affecté la relation que j'ai pu avoir avec lui. Mais nous nous entendons
assez bien maintenant. Il est marié, et comme son épouse travaille
au bureau des impôts, il m'appelle de temps en temps pour m'aider à
remplir mes déclarations! (rires)
Entretien
réalisé par Robin Gatto
et Yannis Polinacci au 19°
Festival du Film Policier de Cognac