Le monde légendaire du Moulin Rouge avec ses femmes fatales, jupons retroussés
et jambes à gogo, ce monde a inspiré plus d'une quinzaine d'incarnations cinématographiques.
"Mais la nôtre," confie Baz Luhrmann, "n'est pas comparable."
"Voici un parallèle: un poète plutôt naïf, genre Bob Dylan, fait la rencontre
d'Andy Warhol à la Factory, puis de Toulouse Lautrec et de son entourage. Tout
ce monde se mélange au Studio 54 dans une folie disco-Can Can où les riches
et puissants côtoient les jeunes fauchés."
"Sur place, notre héros tombe amoureux d'une beauté en rollers, la courtisane
Satine "aux diamants étincellants". Comme vous pouvez l'imaginer," poursuit
Luhrmann, "ce n'est pas une tâche facile."
On n'avait pas vu un film d'ouverture en compétition depuis Ridicule
de Patrice Leconte. Cette extravagance musicale, riche en style et en stars,
a pour vedette un Ewan McGregor chantant et dansant dans le rôle de l'amant.
Un retour de bon augure au festival pour ce metteur en scène Australien qui,
en 1992, avait fait grand bruit avec son effervescent Ballroom Dancing.
Le film suivant en 1996, encore plus ambitieux, était un remake étincelant de
Roméo et Juliette avec Leonardo DiCaprio et Claire Danes maniant les
pentamètres Shakespeariens. De nouveau aux côtés de sa femme, la chef décoratrice
Catherine Martin et de son coscénariste Craig Pearce, Lurhmann mène à terme
avec cette fresque baroque et post-moderne la trilogie qu'il appelle ses films-fantaisies
"rideaux rouge" et dont cette "tragicomédie musicale" devrait constituer le
sommet.
Tout le monde voulait être dans le film dit Luhrmann : " J'ai beaucoup de gens
pour le film. Mais je voulais des acteurs qui puissent chanter."
" Nicole, qui a pris des cours de chant pendant un an pour le rôle, n'est pas
Whitney Houston, mais elle est plutôt comparable à Marlène Dietrich,
Marilyn Monroe ou Frank Sinatra, qui ont fait d'excellents rôles dramatiques.
A cette époque, le chant était simplement une partie du jeu de l'acteur."
"Et ici, on leur demande de s'exprimer dans un style, qui tient presque d'un
film de Bollywood" (la Mecque du cinéma indien, ndlr), dit Luhrmann
en riant, "car on passe d'une comédie à une intense tragédie. Mais il y
a aussi la substance de grands thèmes mythiques. Pour Moulin Rouge on
s'est inspiré du mythe d'Orphée. Nous débutons tous avec un idéal de
jeunesse, puis nous passons par une expérience plus noire, et en poursuivant
notre idéal, nous réalisons que la vie est plus grande que nous. Nous réalisons
aussi que la mort nous guette, que les portes se ferment, et cela nous effraie.
Mais si on a de la chance, cette expérience nous enrichit au lieu de
nous détruire."
Ces épreuves,
Luhrmann les a connues sur le tournage. Son père est décédé le premier jour
(le film lui est d'ailleurs dédié) "au moment où je disais "coupez
!" ". Nicole Kidman s'est abîmé le genou pendant un numéro de trapèze
causant une interruption de deux semaines avant de se fracturer une côte en
répétant un numéro de danse. " Mais," commente Luhrmann optimiste, comme on
dit : "the show must go on (le spectacle doit continuer)."
Dans l'univers sans retenue de Luhrmann cela voulait dire enlever toutes les
barrières et appliquer toutes les formes de styles à cette mixture musicale
qui allie les extrêmes, passant de Bowie à Offenbach. Les personnages
eux-mêmes se mettent à chanter un répertoire très vaste, entonnant des
morceaux des Beatles, Bono, Queen, Missy Elliot, Beck ou Fat Boy Slim, remixé
de façon surprenante avec du Can Can dans une scène de danse déchaînée.
"Ceci peut paraître quelque peu incongru pour une comédie musicale d'époque",
souligne Luhrman, " mais quand Judy Garland a chanté "clang clang clang went
the trolly", sur le plateau début de siècle de Meet me in St. Louis,
elle chantait la pop de la radio des années 40. Dans cette optique, ce que je
fais n'est pas nouveau. Je vois Moulin Rouge comme une mosaïque musicale
à travers le temps. Et quoique je n'aime pas l'expression "post moderne", elle
est applicable ici car c'est une forme classique qui est réinterprétée par l'intermédiaire
de la culture pop. Le classicisme reflète pour moi des schémas humains qui transcendent
le temps et la géographie. Ils sont ce qui lie l'histoire de Krishna à celle
du Christ. Ce que je fait repose vraiment sur une idée très simple."
Vers quels horizons
l'emportera sa prochaine épopée? "Qui sait," répond-il rayonnant "je vais peut-être
devenir un ermite. J'ai tellement ingurgité, tellement régurgité. Les gens me
disent " vous avez tellement d'énergie…" mais j'ai constamment le sentiment
que je n'en fais pas assez dans ce processus, que je ne donne pas suffisamment.
J'essaie toujours de déveloper et de mettre en scène mon récit de la façon dont
je le vois. Mais en attendant, j'ai mené tous ces gens sur ce chemin… et je
me demande, est-ce le bon chemin?"
Shari
Roman