Le Festival a horreur
des coups de barre brutaux, des changements de cap radicaux. C'est sans doute
ce qui permet à la plus grande manifestation cinématographique du monde d'assurer
sa force et sa longévité, face aux avatars qu'ont pu connaître ses rivaux, comme
Venise ou Berlin.
Après
avoir " digéré " les grands évènements qui ont ponctué son histoire - la fin
de la guerre, la Nouvelle Vague, Mai 68 - Cannes aborde le millénaire avec une
nouvelle équipe constituée l'an dernier alors que Pierre Viot cédait la présidence
à Gilles Jacob. Le délégué artistique, Thierry Frémaux, fraichement arrivé de
l'Institut Lumière à Lyon, et la directrice générale, Véronique Cayla, ex- directrice
du groupe MK 2 et membre récent du CSA, ont présenté leur copie à la presse
jeudi dernier lors d'une conférence de presse tenue au cinéma le Balzac.
A-t-on été surpris
? Réponse, non. Le bateau cannois reste résolument tourné vers le cinéma d'auteur,
selon une stratégie arrêtée et peaufinée au long des vingt-quatre années de
règne de Gilles Jacob. Le divorce s'est doucement consommé entre les Majors
et la compétition pour diverses raisons : un calendrier peu favorable aux sorties
immédiates, et les nouveautés commerciales américaines ne voulant pas prendre
le risque d'un éreintement critique avant la saison d'été où elles font leur
carrière. Résultat : c'est Deauville et Venise qui se partagent les " machines
hollywodiennes " qui poursuivent à l'automne en Europe un lancement déjà entamé
sur le sol américain.
Mais à toute règle
il y a des exceptions. Elles se sont déjà appelées Scorsese, Coppola, ou Spielberg.
Cette année, ce sera la Fox qui viendra présenter en ouverture et en compétition
Moulin Rouge un " musical " avec Nicole Kidman et Ewan McGregor, sur
fond de Pigalle encanaillé. Ce sera aussi DreamWorks qui projetera, ce qui est
encore plus rare, un film d'animation en images de synthèse, qui s'appelle Shrek.
Pour
le reste l'Amérique sera présente avec ses fidèles, les frères Coen et David
Lynch, ou avec le jeune cinéma d'auteur, celui de Sean Penn qui revient avec
son troisième film, The Pledge.
Autres évènements
dont nous avons déjà parlé ici : la version intégrale d'Apocalypse Now,
avec un cadeau supplémentaire. Monsieur Coppola Senior viendra avec Roman Coppola
junior qui projettera, ( comme sa sœur Sofia il y a trois ans avec Virgin
Suicides) son premier long métrage, tourné en grande partie en Europe et
à Paris, CQ en sélection officielle et hors compétition.
Un choc probable
sera aussi la découverte du nouveau Abel Ferrara, avec l'attendu R-Xmas, en
ouverture de la section Un certain Regard.
Nous sommes donc
en plein dans la continuité avec minimum de changement, les films d'auteurs
intelligents, beaux et différents venant remplir la niche des " entertainment
movies " qui ont tout à perdre et rien à gagner sur la Croisette, hormis des
contrats sur le Marché, où les vendeurs les présentent discrètement loin des
regards indiscrets de la critique. Cannes a toujours ses deux visages, celui
des marches et de la compétition ,sous le feu des caméras, et celui du business,
qui se déroule en parallèle et en secret.
Un Certain Regard
semble incontestablement se muscler et devenir un second Festival à part entière
où se bousculeront à côté de Ferrara, Todd Solondz et Jennifer Jason Leigh,
Hartley et Doillon, Kobayashi et Archibugi.
Hormis
le retour de Godard, de Makhmalbaf, d'Olmi, et surtout de Moretti, c'est la
forte présence des Japonais qui marque cette sélection officielle 2001,avec
sept films venus de Tokyo et répartis dans les différentes catégories. Cette
supériorité en nombre se traduira-t-elle aussi par une domination en qualité
? Réponse à partir du 9 mai.
Enfin, la France.
Bien sûr, on ne manquera pas de s'interroger sur l'absence du Jean Pierre Jeunet,
que tout semblait prédisposer à la compétition : que s'est-il vraiment passé
? Selon le réalisateur, c'est bien Gilles Jacob et son délégué artistique Thierry
Fremaux, qui n'ont pas aimé le film " ne l'ont pas trouvé intéressant "… On
s'interrogera sans doute sur cette anomalie, tout comme on cherchera en vain
la présence de Rohmer , de Rozier et celle de Téchiné. Sont retenus finalement,
Catherine Corsini, Cedric Kahn, Jacques Rivette, et François Dupeyron dont
La Chambre des Officiers semble particulièrement attendue. Enfin Raoul Ruiz
ferme la marche mais hors compétition,adaptant Giono et les Ames Fortes
trois ans après Proust et Le Temps retrouvé.
Le Jury est aussi
marqué par une forte présence française sous la présidence de Liv Ullman. Autour
de Mathieu Kassovitz, deux jeunes actrices, Sandrine Kiberlain et Charlotte
Gainsbourg, mais aussi le journaliste écrivain et réalisateur Philippe Labro.
Un seul Américain, Terry Gilliam, en " chômage technique ", son Don Quichotte
ne s'étant pas tourné comme prévu pour cause de maladie du comédien principal.
Les autres sont absents, comme Jodie Foster , en raison du train d'enfer sur
lequel on tourne à Hollywood avant que la menace de grève n'arrête la machine.
Du coup, beaucoup de comédiens prévus à Cannes risquent de se décommander, comme
Jack Nicholson, vedette de The Pledge.
La France profitera-t-elle
de cette faiblesse " technique " américaine pour voler la palme aux autres compétiteurs,
après un début d'année époustouflant dans les salles ? Réponse le dimanche 20
mai aux alentours de 20 h 30, quand madame Liv Ulmann proclamera le nom du vainqueur
de cette 54ème édition.
Michel
Pascal