Membre de l'importante délégation espagnole invitée par le Festival, Carlos
Saura a bien voulu s'entretenir avec nous sur sa longue et
belle carrière, entre fiction et musique, et marquée notamment
par son amitié avec Luis Buñuel et son mariage avec l'actrice
Geraldine Chaplin. Alors, moteur... Ça tourne... Musique!
Quels sont parmi vos
films ceux qui ont le plus traversé les frontières?
Je ne sais pas si je peux oser dire ça, mais l'un des films qui a le
plus rapporté d'argent à l'Espagne, c'est Carmen. Ce film
continue de passer sur les télévisions du monde entier. Je sais
que la télévision allemande, par exemple, le diffuse tous les
ans! (sourire) C'est un film qui nous a vraiment tous surpris.
Comment est née votre passion pour la grande musique?
Des gènes, comme on dit aujourd'hui! (rires) Avant de se marier, ma
mère était pianiste professionnelle. Il y a donc toujours eu à
la maison une culture musicale classique. Mais moi, en fait, j'aime toutes sortes
de musiques. Depuis tout jeune, j'aime le flamenco par exemple. Dans mon premier
film, Los Golfos, toute la musique était du flamenco. Par la suite,
quand j'ai fait de la photographie - avant de faire des films - j'étais
spécialisé dans la musique et la danse. J'ai couvert le festival
international de Grenade plusieurs années, et c'est ainsi que j'ai pu
me livrer à ma passion pour la musique et la danse. Et dès que
l'occasion s'est présentée de faire des films musicaux, j'ai sauté
dessus. J'en ai jusqu'à présent réalisé 6, et j'en
prépare un septième! (sourire) C'est donc une sorte de carrière
parallèle pour moi, avec d'un côté des films de fiction,
et de l'autre des films musicaux. C'est comme une sorte de repos et d'apaisement
à l'intérieur de mon cinéma. C'est merveilleux d'avoir
devant sa caméra des danseuses, des chanteurs et des musiciens extraordinaires.
Et qui travaillent pour vous! (rires) C'est très égoïste
de dire ça, mais en vérité, c'est un véritable plaisir!
Donc je suis tout à fait disposé et prêt à prolonger
ma carrière de cinéaste musical! (rires)
Quand vous avez entamé votre carrière de réalisateur,
l'Espagne était un encore un pays isolé à cause du Franquisme.
Qu'a représenté pour vous, à partir des années 70,
l'ouverture du pays au reste du monde?
C'était une ouverture attendue, espérée. Je suis passé
personnellement par tous les étapes: le franquisme, avec une censure
rigide qui tenait l'expression artistique totalement sous sa coupe. On ne pouvait
pas aller à l'étranger, on ne pouvait pas lire certains livres,
on ne pouvait pas se réunir à plus de 4 personnes... Il y avait
un système policier brutal qui empêchait toute forme d'expression.
Mais petit à petit, le pays s'est ouvert parce que la pression des pays
étrangers était très forte. Ensuite est venu le post-franquisme,
marqué par une grande liberté. Après la mort de Franco,
la censure s'est vraiment beaucoup assouplie. Et puis, nous avons eu les élections
libres et l'Espagne est devenue une démocratie. Le changement a été
assez brutal, en fait. En très peu de temps, nous sommes passés
de "rien n'est possible" à "tout est possible". Bien
sûr, il subsiste des problèmes économiques, mais en ce qui
concerne la liberté d'Expression, l'Espagne est désormais un pays
où l'on peut raconter toutes les histoires possibles.
Que vous apporté votre amitié avec Luis Buñuel?
J'ai rencontré Luis Buñuel au festival de Cannes, où mon
premier film, Los Golfos (1962), avait été sélectionné.
Je connaissais déjà Buñuel à travers ses films,
mais pas personnellement. Et à partir de cette rencontre, nous sommes
devenus très amis, nous nous sommes revus souvent et nous sommes toujours
voués une très grande affection. Je le considérais vraiment
comme quelqu'un de ma famille, et sa mort a laissé un très grand
vide. Après Goya, j'ai fait un film qui s'appelle Buñuel y
la mesa del rey Salomón, une sorte d'hommage personnel, très libre
et imaginatif à Luis.
Comment a débuté et que vous a apporté votre relation
avec Geraldine Chaplin, qui vous a valu un heureux mariage?
Eh bien, nous sommes tombés amoureux (rires), et puis nous avons vécu
ensemble de nombreuses années et travaillé ensemble de manière
très étroite sur de nombreux films. Il est clair que Geraldine
m'a beaucoup apporté, notamment une vision de la femme très différente
de la vision espagnole. Geraldine a reçu une éducation anglosaxonne
très libre, très souple, même si son père tenait
un peu du "tyran"! (rires) Géraldine est une femme très
cultivée, très intéressante, une grande actrice, et nous
avons fait ensemble des films que j'aime vraiment beaucoup.
Entretien réalisé au Forum du Film Européen
de Strasbourg par Robin Gatto & Yannis Polinacci
Traduction de l'espagnol: Robin Gatto
Remerciements: Isabelle Buron