Entretien avec
Cesc Gay, réalisateur de Krampack
Avec 3 nominations
aux Goyas (les Césars espagnols), plusieurs prix dans les festivals (Cannes,
Chicago, Giffoni)... Cesc Gay, le réalisateur de Krampack,
est un homme heureux. En seulement deux films, cet ex-charpentier (un Harrison
Ford ibérique?) a su réaliser son rêve et marquer les esprits
cinéphiles. Dans Krampack (le mot désigne joliment l'acte
masturbatoire), Cesc Gay évoque avec beaucoup de gaieté et d'humour
l'eveil sexuel de deux adolescents sur les plages espagnoles. Tendre en plein
(on est plus proche de Rohmer que de Kenneth Anger), le film a pourtant gêné
le public cannois l'an dernier en raison de quelques scènes homosexuelles
très directes. Ce qui ne l'a pas empêché en fin de parcours
de décrocher le 19° Prix Spécial de la Jeunesse. Rencontre
avec un réalisateur sans gêne.
Dans quelles
circonstances avez-vous réalisé votre premier film, Hotel Room?
J'ai connu Daniel
Gimelberg, le co-réalisateur, en travaillant comme charpentier à
New York. Un jour, 4 ou 5 ans après la mort accidentelle de son père,
Daniel a reçu 10 000 dollars d'une compagnie d'asurances, et on a décidé
d'investir cette somme dans un film. On a réuni 15 000 dollars supplémentaires
grâce à quelques banques, et puis avec un ami de l'école
de cinéma de Barcelone, qui travaillait alors dans la production à
Los Angeles, on a réalisé le film. On a eu assez d'argent pour
payer la pellicule, la faire développer, payer l'ingénieur du
son. Sinon, les acteurs et tout le reste de l'équipe ont accepté
de travailler gratis et de nous aider. Le film a été tourné
dans l'appartement de Daniel, de manière très artisanale, pendant
8 mois. Quand le film a été terminé, nous n'avions plus
d'argent, et au bout d'un an, je suis rentré en Espagne, j'ai rencontré
une productrice qui a été intéressée par ce que
nous avions filmé, et Daniel et moi avons ainsi pu finir le film.
De quoi se nourrissait
le scénario de Hotel Room?
Le scénario
a été en partie amené par les conditions de tournage. Nous
ne connaissions pas grand monde à New York et nous avons décidé
de faire le film en huis-clos. L'idée nous a beaucoup plu, parce qu'elle
nous permettait d'introduire toutes sortes de personnages dans cet appartement
sans devoir apporter de justifications. A partir de là, Daniel et moi
avons réfléchi comment faire un film qui ne soit ni lassant ni
claustrophobique. C'était très dur, parce que nous savions que
nous allions filmer cet appartement sans grands moyens, sans esthétisme
appuyé. Nous avons fini par penser qu'avec plusieurs histoires, la pillule
passerait un peu mieux pour le spectateur. On s'est dit aussi que plusieurs
histoires permettraient à chacun de nous de trouver plus facilement sa
voie au scénario et à la réalisation. Finalement, le thème
qui s'est glissé dans le scénario, c'est celui du hasard, de la
fatalité - auquel n'est guère étranger l'accident du père
de Daniel - et la structure circulaire du film tourne autour de rencontres fortuites.
C'est un thème qui m'intéresse beaucoup, cette fragilité
de la vie, ce moment où tout peut basculer.
Quelles sont
vos influences en matière de cinéma?
Il y a des films
que j'aime, mais les films qu'on aime ne sont pas toujours ceux qui vous influencent
au moment de réaliser les vôtres. J'aime beaucoup Cassavetes, qui
disait dans je ne sais plus quel livre: "J'ai essayé d'imiter Frank
Capra!" Cette dichotomie entre ses films et son amour pour Frank Capra
m'a paru fascinante, parce que dans le fond, Frank Capra ne l'a pas influencé!
Moi, en fait, je m'amuse de toutes sortes de films, aussi bien La Guerre
des Etoiles que les films d'Abbas Kiarostami, François Truffaut.
Il me semble que ma génération et les jeunes générations
se nourrissent de tellement de télévision et de films différents
qu'on peut passer d'un genre à l'autre avec beaucoup de facilité.
Dans Hotel Room, il y avait des influences de Jarmusch, de Kevin Smith,
d'Hitchcock, parce qu'une des histoires est racontée au travers d'une
fenêtre, et on a joué un peu avec tout ça. Dans Krampack,
il y a quelques influences de Rohmer, parce que c'est une histoire d'adolescents
pendant l'été, sur la plage.
Comment êtes-vous
arrivé sur Krampack?
Grâce à
Hotel Room, qui a connu une petite distribution en Espagne, j'ai rencontré
la productrice Marta Esteban (Land and Freedom). Cela faisait déjà
5 ou 6 ans qu'elle avait envie de porter à l'écran la pièce
"Krampack" de Jordi Sanchez. Plusieurs scénarios avaient été
écrits, plusieurs réalisateurs contactés, mais rien ne
s'était fait. Et puis Marta a entendu parler de moi, elle a vu Hotel
Room, et elle m'a contacté.
Au début,
je n'étais pas vraiment attiré par Krampack. J'étais encore
dans Hotel Room, le film venait enfin de sortir au bout de 5 ans, et
je vivais enfin mon rêve. Quand Marta m'a contacté, je pensais
un peu à autre chose. Mais la communication est très bien passée
entre nous, donc je n'ai pas hésité, j'ai dit oui. Ensuite, il
a bien fallu que j'adapte l'histoire de Krampack a mon propre univers, car même
si c'était un film de commande, j'avais besoin de me l'approprier et
d'y trouver des résonances intimes. Et petit à petit, je suis
tombé amoureux des personnages. A cette époque, j'avais commencé
d'écrire un scénario sur ma génération, et le fait
d'avoir des adolescents dans Krampack m'a beaucoup plu et permis de me replonger
dans ma propre adolescence.
Comment avez-vous
trouvé vos deux jeunes acteurs principaux?
Fernando, je l'ai
découvert dans le film La Buena Vida de Fernando Trueba. Il avait
15/16 ans à l'époque, il en a 21 aujourd'hui, et il a déjà
une carrière étonnante, avec 5 ou 6 premiers rôles. Donc
il avait déjà compris pas mal de choses sur le mêtier d'acteur,
il avait sa propre technique, ses méthodes, il écrivait plein
de notes sur le scénario. Jordi, c'est très différent,
il est acrobate dans un cirque - c'est d'ailleurs pour ça qu'il fait
quelques pirouettes dans le film. Il est venu au casting, et j'ai vu qu'il n'avait
pas l'attitude d'un acteur, qu'il n'avait pas l'intention de faire une carrière
d'acteur. J'avais la sensation qu'il ne savait pas trop ce qu'il faisait là,
au fond. Et moi, c'est justement ça qui m'a plu, son naturel. Et quand
je les ai mis côte à côte tous les deux, j'ai trouvé
qu'il y avait une certaine alchimie entre eux.
Le film comporte
des scènes sexuelles qu'on imagine très délicates à
tourner pour eux comme pour vous. Comment vous y êtes vous pris?
Les scènes
de sexe n'ont jamais été répétées avant le
tournage. Je voulais qu'ils les jouent avec tout le naturel et la nervosité
nécessaires. Je ne voulais pas non plus donner à ces scènes
une importance spéciale, leur donner l'impression qu'ils allaient faire
quelque chose de vraiment particulier. Donc, j'ai essayé de ne pas trop
parler de ces scènes avec eux. Et quand on les a tournées, en
fait, l'ambiance était plutôt à la rigolade, tout le monde
chahutait , se mettait dans le lit... donc ils ont bien vécu ces scènes,
plutôt mieux que d'autres d'ailleurs. Il n'y a pas eu de honte ni de pudeur
particulière. Par contre, pour la scène où ils sont censés
faire l'amour, j'ai préféré prendre quelques précautions
et j'ai fait sortir toute l'équipe. Pour les tranquilliser,aussi, j'ai
choisi une mise en scène non interventionniste, en plans-séquences.
C'est un choix qui demandait un minimum de répétitions, mais seulement
le jour même du tournage des scènes.
Est-ce que la
décision de tourner ces scènes en plans-séquences a demandé
beaucoup de réflexion préalable?
Une fois que le
scénario est écrit, que le casting est fait, que les repérages
sont faits, j'essaie de visualiser beaucoup le film, et donc je travaille avec
le directeur de la photographie, parce que c'est souvent lui qui sait ce qu'il
est possible ou non de faire. Pour Krampack, nous avons fait une sorte
de story board, nous avons dessiné beaucoup de plans. Il était
très clair pour moi que la caméra ne devait pas intervenir dans
le jeu des acteurs pendant les scènes d'intimité. Je voulais faire
le moins possible de coupes. Et je crois que ça s'est bien passé
comme ça. Quand on ne coupe pas, on est vraiment à l'intérieur
de la scène, de ce ce qui s'y passe, il n'y a pas de modification temporelle,
et ça oblige aussi l'acteur à s'impliquer davantage. C'est ce
que j'ai fait dans ces scènes, en essayant aussi de les rendre plus élégantes.
Krampack
a été présenté en décembre 2000 au festival
Gay et Lesbien de Paris. Quelle sorte d'expérience était-ce pour
vous?
C'était
quelque chose d'assez curieux pour moi, parce qu'en faisant le film, on n'avait
jamais pensé à un public en particulier, et personne n'était
gay dans l'équipe. Mais c'était une expériene très
intéressante, et je suis très heureux que le monde culturel gay
et lesbien ait accepté et adopté le film. Ce n'est pas du tout
quelque chose que je visais en faisant le film, et c'est d'autant mieux ainsi.
Je pense que chaque film doit rencontrer son public d'une manière naturelle,
non calculée.
Que représentent
les festivals dans votre travail?
Les festivals sont
indispensables pour tous les films qui ne viennent pas d'Hollywood et qui ne
disposent pas de gros moyens publicitaires. Le seul moyen d'entrer dans un autre
pays, d'accrocher et d'intéresser les distributeurs, c'est les festivals,
et si le film est sorti aux Etats Unis, c'est parce que les distributeurs l'ont
vu au festival de Montréal. Grâce au festival de Cannes, le film
est sorti aussi en Italie, il a été projeté au Festival
de Lisbonne... Les festivals permettent aussi de prendre confiance en soi et
d'être pris davantage au sérieux. Et si le film reçoit un
prix, il y a pas mal de répercussions dans les médias, dans la
presse, et on sent dans ces moments là qu'on a fait quelque chose de
bien. Et puis la dernière chose, mais pas des moindres, c'est les voyages!
Robin
Gatto
Pour en savoir
encore plus sur Cesc Gay et Krampack:
www.krampack.com (site officiel en espagnol)
www.critique-cinema.fr/sem22l5f.htm