Fantastique Kiyoshi Kurosawa... Danx cette interview enregiostrée à
Cannes, le réalisateur de Cure et Charisma, deux films
phare du nouveau cinéma fantastique nippon, nous éclaire sur la
génèse de son dernier film Kairo, une histoire de fantômes
sur le web très effrayante. Kairo est projeté dans la rétrospective
Apocalypse...
Quels sont les films que vous aimez dans le domaine du fantastique et de
l'épouvante? Dans l'édition japonaise de Vogue, étonnamment,
vous mentionnez Spontaneous Combustion de Tobe Hooper...
Ce film fait vraiment partie de mes préférés dans le genre.
Ce que j'apprécie chez Tobe Hooper, c'est qu'il semble avoir une très
bonne connaissance des vieux films d'horreur, et qu'il sait très bien
les porter au goût du jour. C'est quelque chose que j'aime faire aussi,
étudier les vieux films fantastiques et les transposer dans des contextes
plus modernes. Car quand on fait un film d'horreur, on ne peut pas se contenter
de refaire ce qui a déjà été fait. Ainsi, en regardant
Spontaneous Combustion, j'ai pensé que Tobe Hooper avait une vision
du cinéma d'horreur identique à la mienne.
Dans les vieux films d'épouvante et de fantômes, il y a toujours
un cimetière ou un vieux chateau, et c'est généralement
dans ces endroits qu'apparaissent les fantômes. Mais cela n'a plus rien
de surprenant aujourd'hui. Donc il faut transposer ce qui a été
fait dans un environnement contemporain, et faire apparaître les fantômes
dans les endroits où on les attend le moins. Et il faut en plus que ces
apparitions soient effrayantes. Voilà le genre de défi que j'aime
relever.
Il y a beaucoup de gens qui ne prennent pas les fantômes au sérieux.
Mais moi je pense aux fantômes comme je pense à la mort, à
l'au-delà, un domaine plein d'énigmes auxquelles la religion et
la philosophie, en deux mille ans d'exploration, n'ont jamais trouvé
de réponses. Dans ces conditions, peut-être l'image du fantôme
n'est-elle qu'une manière simple d'évoquer la mort.
Donc, dans une ville moderne, on ne s'attendrait pas du tout à voir
surgir la mort d'objets aussi familiers que les ordinateurs. Mais si on part
de ce principe et qu'on l'exploite jusqu'au bout, alors on ne peut plus échapper
à la mort. On aura beau tout nier et essayer d'oublier, on ne pourra
plus l'éviter! Elle sera toujours là.
Etait-ce le concept de Kairo?
Oui, même si je pense qu'il ne m'appartient en aucune façon d'apporter
des réponses ou des conclusions sérieuses sur ce sujet! Mais si
vous me demandez quelle pourrait être la fonction des fantômes aujourd'hui,
ce serait ça!
Pouvez-vous nous dévoiler en quelques mots l'histoire de Kairo?
Pour résumer, des fantômes commencent à apparaître
sans raison dans la ville de Tokyo. Et les gens autour du jeune héros
commencent à disparaître! (rires) Donc il doit trouver des réponses
à ces énigmes, et des solutions pour se débarrasser des
fantômes!
Et comment l'Internet est-il relié à l'histoire des fantômes?
C'est un média par lequel circulent les fantômes et toutes les
informations à leur sujet. Et au fil de l'histoire, on découvre
qu'en se livrant à un rituel secret, on peut faire sortir les fantômes
de l'Internet. Dans la deuxième partie du film, il devient de plus en
plus clair qu'en fait l'Internet est une liaison avec le royaume des morts.
Toujours dans l'édition japonaise de Vogue, vous avouiez ne pas vous
sentir très à l'aise avec l'Internet. Est-ce à dire que
vous sentez déconnecté des générations plus jeunes
qui utilisent l'Internet tous les jours?
C'est vrai que je n'utilise pas beaucoup l'Internet. Mais je pense que c'est
un moyen formidable de trouver des informations, et peut-être devrais-je
l'utiliser plus souvent. Par contre, je pense que l'Internet n'est pas un moyen
normal de nouer et d'entretenir des relations humaines. Pourquoi? Parce que
dans une vraie relation, même si on ne se voit pas souvent, qu'on réside
dans des endroits différents, on peut toujours penser à l'autre,
imaginer l'autre personne. Mais dans une relation Internet, tant qu'on est connecté,
c'est très bien, mais une fois la connection terminée, un grand
vide s'installe.
Quel était le plus grand défi à relever dans la réalisation
de Kairo?
Le plus grand défi était d'arriver à créer un nouveau
type de fantôme, et donc une histoire nouvelle et originale. C'était
sans doute ça le plus difficile. Dans mon film précédent,
Ko-rei (projeté à Locarno et Rotterdam),
le fantôme était celui d'une petite fille. Dans Ring
d'Hideo Nakata, Sadako était une jeune femme avant de devenir
un fantôme. Dans ces films, il n'y a pas de mystère autour de la
provenance de ces fantômes. Mais les choses sont très différentes
dans Kairo. On ne sait rien sur le passé des fantômes. On
ne sait pas pourquoi ils sont devenus des fantômes. Ils ne veulent pas
se venger, ils n'éprouvent aucune rancune liée à leurs
vies passées. Il n'y a rien de tel dans le film. Ils se contentent d'apparaître
sans raison apparente. Cette composante était l'un des plus grands défis
du scénario.
Dans le film d'animation Ghost in the Shell de Mamoru Oshii, le mot
"fantôme" est utilisé pour symboliser une forme d'âme
circulant sur le net. Pensez-vous que la notion de fantôme peut être
associée à l'âme humaine?
C'est une question difficile! (rires) Je dirais que même quand un fantôme
prend une forme humaine, ce n'est jamais qu'un fantôme. Même quand
les hommes ne parlent pas la même langue, ils arrivent à communiquer
et à se comprendre, parce qu'ils partagent la même âme. Mais
un fantôme demeure à nos yeux quelque chose de totalement mystérieux
et incompréhensible. C'est une entité totalement différente.
Dans ce sens, les fantômes symbolisent bien la mort, parce que la mort
reste encore quelque chose d'incompréhensible.
Je me rappelle que vous aviez dit au sujet de Ko-rei que votre intention
n'était pas, avec ce film, d'effrayer les spectateurs. Avez-vous changé
d'avis en faisant Kairo?
(sourire) Oui, cette fois j'avais vraiment envie d'effrayer les spectateurs!
En outre, Kairo est un film probablement plus complexe et difficile que
Ko-rei. Donc, comme le film n'est pas encore sorti au Japon, je ne sais
pas vraiment si le public sera suffisamment effrayé ou non. (Cette interview
date de février 2001, date à laquelle Kairo n'était
pas encore sorti au Japon, ndr)
Avez vous montré le film à vos proches, à vos amis?
La plupart de ceux qui l'ont vu disent que c'est assez effrayant, mais que
le scénario est plutôt compliqué et pas facile à
suivre. D'autres disent que c'est le meilleur film que j'ai réalisé,
mais bon, ce sont mes amis, vous savez! (rires) Ma femme aussi a vu le film,
mais comme elle assiste à toutes les étapes de création
de mes films, de l'écriture au montage final, son opinion est très
subjective.
Récemment, le paysage du cinéma japonais a été
secoué par un film incroyablement violent, Battle Royale de Kinji
Fukasaku. Je sais que vous avez vu ce film au festival de Rotterdam, en présence
du réalisateur, alors, qu'en avez-vous pensé?
En vérité, j'ai beaucoup aimé ce film! Il y a eu un grand
débat dans les médias japonais pour savoir si la violence de ce
film avait ou non des effets néfastes sur la jeunesse japonaise. Pour
ma part, je pense que non. Il y a beaucoup de violence dans ce film, mais je
pense, même si c'est étrange à dire, que c'est une violence
très sportive et très saine! Je pense que le réalisateur
a fait quelque chose de vraiment original avec ce film.
Akihiko Shiota, un de vos confrères réalisateurs, nous confiait
qu'il admirait votre capacité à réaliser des films très
personnels, même dans un registre commercial. Pensez-vous être en
mesure de cultiver ce don encore longtemps?
Shiota est un de mes très bons amis, mais comme tous mes amis, c'est
un grand menteur, alors ne vous fiez pas à ses dires! (rires) Sérieusement,
la combinaison des deux est quelque chose qui m'intéresse beaucoup et
que j'ai très envie d'explorer encore plus sérieusement dans les
années à venir. Si vous me demandez pourquoi, je vous répondrai
qu'à l'époque où la diffusion de mes films était
circonscrite au Japon, je trouvais qu'il y avait très peu de gens capables
d'apprécier les deux. Il y avait une séparation très stricte
entre les films commerciaux et les films d'auteur. Mais depuis que mes films
sont projetés dans des festivals internationaux, je me rends compte qu'il
y a beaucoup de spectateurs capables d'apprécier les deux, et cela me
donne beaucoup d'assurance pour continuer dans cette voie.
Juste pour Filmfestivals.fr, pouvez-vous nous révéler vos
trois films préférés?
(rires) Pour répondre correctement à cette question, il me faudrait
au moins 3 ans de réflexion! (sourire) Mais les films qui me viennent
à l'esprit pour l'instant sont Spontaneous Combustion de Tobe
Hooper, Un Nommé Cable Hogue de Sam Peckinpah, et le documentaire
Histoire du Cinéma de Jean Luc Godard.
Entretien réalisé par Robin Gatto