Marseillaise au grand cœur, elle se destinait à la danse, mais ses rondeurs
en décidèrent autrement. Reconvertie dans le cinéma, elle mène depuis dix ans
une carrière paisible entre Pialat, Klapisch, Beineix et Dupeyron, avec pour
incursion hollwoodienne un Don Juan de Marco qui ne lui laisse pas que
des bons souvenirs. La voici à présent dans L'Adversaire, en épouse fidèle
ignorant tout des méfaits d'un mythomane qui finira par la tuer. Une expérience
de tournage périlleuse que Géraldine Pailhas nous raconte avec la franchise
qui la caractérise.
L'Adversaire est un film sombre. Par quels états d'âme, par
quels sentiments êtes-vous passée pendant le tournage, et comment a-t-il été
nécessaire de le préparer ?
J'ai du mal à trouver les mots, à expliquer ça, parce que tout s'est passé vraiment
malgré moi. J'ai tendance à être très dans le contrôle d'habitude, dans ma vie,
à ne pas laisser aller les choses, et là, ça n'a été qu'une succession de surprises,
de choses que je n'ai pas comprises, que je n'ai pas su analyser, que j'ai subies
quand même pas mal. Ca peut donner une idée assez juste… Je pensais que je pouvais
me préparer, mais en fait la préparation ne suffisait pas. Ce que j'ai connu
de l'histoire m'a vraiment un peu débordée. J'avais du mal à faire le point
sur la réalité et la fiction. Je suis tombée dans tous les pièges. Et c'était
douloureux parce que, justement, quand on aime bien contrôler les choses, même
si je suis actrice et que l'idée est d'être le plus malléable possible, mais
là l'histoire était plus forte que moi. J'ai eu du mal, oui.
Connaissiez-vous un peu l'affaire Romand avant ?
Très peu. Les grandes lignes. Mais Nicole me l'a racontée dans les détails le
jour où il était question qu'elle me propose de faire le film. Et je me suis
très vite sentie saisie par cette histoire. Je trouve que les détails sont très
importants dans cette affaire. Parce que si l'on dit juste : " Oui, tu sais,
Romand, ce faux médecin qui a menti pendant 18 ans et qui a tué toute sa famille…
", il y a juste un truc sordide, et on imagine juste un monstre, alors que ce
n'est pas si simple. Et le film montre effectivement un homme en proie à une
détresse telle qu'il commet une chose qu'aucun d'entre nous ne ferait à priori.
Que pensez-vous de ce personnage de femme et d'épouse que vous interprétez
?
La première chose à laquelle je pense n'est pas forcément la seule chose qui
la définit, mais je pense qu'elle a une part de responsabilité, autant que les
autres qui sont autour du personnage de Jean Marc Faure, inspiré de Romand.
Je pense qu'elle a une responsabilité - je parle ici du film, pas de la vraie
vie - parce que je crois que les gens sont responsables de ne pas aider les
autres à dire les choses qui leur semblent douloureuses, dangereuses. Et en
tout cas, elles ne sont jamais meurtrières, les choses qu'on dit…
Le manque de communication entre Faure et sa femme ne semble pas si anormal
que ça, en fait…
Oh oui, je crois c'est quelque chose de très banal, en fait. Mais à un moment,
ce silence ne peut plus être contenu, quand on a affaire à quelqu'un qui est
aussi complexe, bouillonnant que cet homme. Le couvercle dégage et on ne sait
ce qui va sortir. C'est aussi toute une éducation, cette petite bourgeoisie
de province… Moi, finalement, je la connais un peu, je suis marseillaise. J'ai
entendu toute mon enfance dire autour de moi : " Il y a des choses qu'on ne
fait pas et des choses qu'on ne dit pas ". Moi, je suis l'inverse de ça, au
contraire. Je crie mes malheurs, mes problèmes, mes doutes, mes angoisses. Je
les crie parce que c'est justement ça qui me permet de vivre, de subsister,
de supporter les choses. Mais eux, c'est l'inverse, ils ont tu, enfoui le plus
profondément possible.
Décrivez-nous le tournage, avec Nicole Garcia, Daniel Auteuil…
C'était très bien, très intense. Nicole est très joyeuse, contrairement à ce
qu'on peut imaginer…(Sourire) Vraiment très joyeuse. Je ne sais si c'était de
l'inconscience, ou juste une très bonne maîtrise de son sujet ! Je crois que
c'est plutôt ça. Elle nous a transportés, plus encore que portés, et on s'est
laissés faire. Elle est un peu mante religieuse, quand même… Et c'était assez
agréable. Même d'avoir mal ! (Rires) Elle a une énergie incroyable, et très
communicative. Son sujet, elle le tenait, elle l'a pris à bras le corps. Elle
est femme, séduisante, séductrice. Et c'était marrant, parce qu'à la projection
du film à Cannes, toute l'équipe technique était là. Du pointeur au machino
au chef électro, ils étaient tous venus de leur propre chef. Et je trouve ça
assez révélateur de ce tournage. Il y avait des femmes aussi, mais quand même
une bande de gars tous là pour la servir… (Rires) Mais elle n'en abuse pas.
Et Daniel Auteuil ? Quand on le regarde, on est vraiment happé par son regard.
L'avez-vous été ?
Non. Ce n'est pas ça qui s'est passé entre nous. Ce qu'on devait jouer, c'était
que tout était voilé. Donc ce regard là ne m'atteignait pas, sa détresse aussi,
je ne la voyais pas. La mienne, il ne la voyait pas non plus. On était en non-communication.
Les relations, de toute façon, étaient un peu compliquées - je parle dans le
travail, pas en dehors du tournage - de par les choses qu'on avait à faire et
bien malgré nous, on essayait de ne pas s'embarquer dans les doutes de l'autre.
Tout était fragile, quand même. Tout était assez périlleux. Et comme l'un et
l'autre on a tendance à prétendre qu'il n'y a pas de péril dans ce métier, que
se mettre en danger est grotesque, que ça n'existe pas, que ça n'est quand même
qu'un métier d'acteur, qu'on est là pour jouer… Mais on avait du mal à s'avouer
l'un à l'autre, et à nous-mêmes, que les choses étaient quand même nettement
plus difficiles et compliquées que prévu.
Comment s'est passé le tournage des scènes de meurtre ?
C'est très technique. On ne parle pas. On te dit : " Tu te mets là, tu fais
ça ". On se regardait à peine, on était dans l'exécution pure de ce qui nous
était demandé. C'était vraiment particulier. Il fallait surtout ne pas se poser
trop de questions. Je crois que pour Daniel, c'était encore pire, avec les enfants.
Robin Gatto & Yannis Polinacci