Entretien avec
Hideo Nakata, réalisateur de Ring
Le téléphone
sonne toujours deux fois... Avec Ring
et Ring 2, Hideo Nakata réalise les deux plus gros cartons du
cinéma d'épouvante au Japon. Un sort amplement mérité
pour ce jeune réalisateur de 39 ans qui, avouant préférer
les histoires d'amour aux histoires d'horreur, apporte beaucoup de subtilité
et de grâce à ce qui, en 1997, débute comme un projet de
commande de la grande compagnie d'édition et de production Kadokawa.
Entretien avec un réalisateur tout heureux de voir Ring sur les
Champs Elysées pendant le festival de Paris...
Ring
est un film très féminin. C'est assez surprenant, étant
donné qu'il résulte de la réunion de 4 hommes: le producteur
Sento Takenori, le romancier Koji Suzuki, le scénariste Hiroshi Takahashi
et vous-même...
Au départ
il y a le roman de Koji Suzuki, dans lequel le personnage principal est masculin.
Mais Hiroshi Takahashi et moi avons décidé que le film aurait
une femme pour héroïne. Premièrement, parce que j'aime les
femmes, et aussi parce que j'ai appris en faisant des films érotiques
pour la Nikkatsu qu'on fait de meilleurs films quand on éprouve de la
compassion envers des personnages féminins! Dans le roman, c'est le père
qui voit le film le premier, puis sa femme et sa fille le voient aussi par accident,
et c'est leur ami qui essaie de trouver des solutions pour eux. Dans le film,
c'est la mère qui est le personnage principal, elle trouve le film, le
visionne, puis son fils le voit aussi par hasard (moins par hasard que, semble
t-il, sur les injonctions surnaturelles du fantôme de la première
victime!, ndlr). Nous avons donc simplifié l'histoire.
Y a t-il des
éléments de Ring inspirés de la réalité?
La mère
de Sadako a réellement existé, il y a 80 ans. C'était une
télékinésiste, exploitée par les médias puis
oubliée. La tragédie de cette femme a inspiré Koji Suzuki
pour le roman.
Nanako Matsushima,
qui interprète votre héroïne, ne correspond en rien à
l'image de la femme japonaise frêle et passive...
Je préfère
les femmes modernes et fortes aux femmes traditionnellement faibles et soumises.
Reiko est une femme autonome qui travaille tout en élevant un enfant.
Je crois que c'est plus intéressant d'avoir une victime forte, une femme
qui lutte. Comme la mère de Terminator, Sarah Connor (il est intéressant
de noter que la dernière image de Ring fait fortement penser à
celle de Terminator, ndlr). Il faut dire aussi que c'est quelque chose
qui est lié à mon histoire personnelle, j'ai en effet été
élevé par une mère très forte.
Votre approche
du fantastique et de l'épouvante est plus atmosphérique que graphique...
J'ai essayé
de montrer le moins de choses possibles, comme dans Les Innocents de
Jack Clayton et La Maison du Diable de Robert Wise. Ce que je voulais,
c'était commencer le film de manière très forte, puis calmer
le jeu et faire monter lentement la tension, l'émotion des spectateurs
jusqu'à la révélation finale. Cependant, il y a bien quelques
moments effrayants dans le film pour satisfaire les attentes des spectateurs,
mais sinon, toute la construction du film est subordonnée à la
révélation finale.
Dans une interview
réalisée au festival de Locarno, le réalisateur Kiyoshi
Kurosawa nous expliquait qu'il vous avait donné des conseils pour réaliser
le film maudit de Ring. Qu'en est-il exactement?
Je suis très
ami avec Kiyoshi Kurosawa, j'ai même travaillé avec lui sur une
série télé d'horreur, une histoire de fantômes dans
une école pour filles (c'est vraiment la mode en ce moment, ndlr). Mais
nous n'avons pas discuté tant que ça des plans du film maudit.
Pour ce film, nous avons plutôt été inspirés par
les kowai manga, des mangas d'horreur pour filles où il y a souvent des
histoires de jeunes femmes télékinésistes. Cependant, nous
avons beaucoup discuté de ces plans avant de les tourner. Le tournage
a pris 4 jours, le montage deux jours, et nous avons d'ailleurs beaucoup retravaillé
l'image pour lui donner cette qualité que vous voyez, semblable à
celle d'un très vieux film. Nous avons filmé en 35 mm puis nous
avons rajouté pas mal de filtres et d'effets spéciaux au montage.
A la fin de
Ring, Sadako sort d'un poste de télévision pour tuer le
personnage interprété par Hiroyuki Sanada. C'est une scène
qui fait merveilleusement peur, mais en même temps Sadako a une position
au sol qui évoque un peu une bête blessée et apeurée.
Est-ce quelque chose que vous avez voulu faire passer dans cette scène?
Oui, absolument,
il y a de la tristesse dans cette scène, et cette tristesse vient de
sa souffrance et de sa colère, que je voulais transmettre au spectateur.
Donc c'est bien ça que je veux transmettre dans cette image, qu'elle
a terriblement souffert physiquement, sa peur et sa colère.
Comment avez-vous
tourné le plan où Sadako sort de la télévision?
Nous avons filmé
la pièce 5 fois avec des angles différents. Puis nous avons superposé
l'image de Sadako sortant de la télévision en utilisant quelques
effets spéciaux. C'était assez facile à tourner, juste
une fusion d'images, comme du dessin animé.
Au Japon, Ring
est sorti en double programme avec Rasen de Joji Iida, la première
suite officielle de Ring, basée sur le second roman de la série.
Seulement voilà, un an après, vous réalisez une autre suite,
Ring 2. C'est un peu étrange, comme cas de figure...
Pour nous aussi,
le projet d'un Ring 2 paraissait très étrange... Mais Ring
avait beaucoup mieux marché que Rasen, alors le président
de Kadokawa, qui est en même temps la maison d'édition des romans
et de production des films, a décidé qu'il serait très
rentable de faire une autre suite. Au début, nous avons recueilli des
scénarios de fans de Ring, mais ne trouvant pas le bon script,
nous avons décidé de l'écrire nous mêmes. Comme Rasen
existait déjà, nous avons créé un monde parallèle
à celui de Rasen, de sorte que les gens puissent voir Ring
2 comme une suite directe de Ring. Cependant, même pour les
spectateurs Japonais, c'était un peu étrange de voir sortir un
Ring 2, mais comme c'était un an après Ring, ça
allait, surtout pour ceux qui n'avaient pas vu Rasen.
Ring 2
fait un peu la part belle à un combat entre la science et le surnaturel.
Et c'est la science qui finit par l'emporter...
Ah non, je ne suis
pas d'accord avec vous! La science perd, au contraire! Bon, ce n'est pas une
science très scientifique qu'on montre dans le film, c'est plutôt
une imposture de science, mais c'est clair que ce sont les forces surnaturelles
de Sadako qui l'emportent sur la science. Pour moi, le sujet de Ring 2,
c'est ça: la victoire du surnaturel sur la science. L'"exorcisme"
final ne marche pas, certes le petit enfant est sauvé, mais la rancoeur
de Sadako continue d'exister en tant que telle. On sent bien qu'à la
fin du film rien n'est fini.
En effet, dans
le dernier plan, vous faites apparaître une victime de Sadako à
la manière de Sadako, donc on comprend que la malédiction se poursuit.
Mais n'était-ce pas plutôt un "truc" pour appeler une
autre suite?
On dit en effet
que j'ai fait cet épilogue pour pouvoir préparer la 3° partie
(sourire), mais pas du tout, je voulais montrer que l'esprit et la rancoeur
de Sadako allaient continuer de vivre en prenant d'autres formes. Ce n'est en
tout cas pas du tout la victoire du rationnel sur l'irrationnel. C'est plutôt
l'irrationnel qui va continuer de perdurer.
Dans Rasen,
Sadako prend justement la forme, ou plutôt les formes, de la très
belle Miki Nakatani, également héroïne de Ring 2.
Parlez-nous aussi de cette actrice...
C'est une actrice
formidable, qui a une très grande pratique musicale, et qui est très
spontanée dans son jeu, capable d'improviser, elle a une capacité
de concentration très forte et donc c'est très agréable
de travailler avec elle, c'est une vraie professionnelle. Dans tous les films
où elle apparaît, elle est toujours très bien.
Qui joue le
rôle de Sadako dans Ring et Ring 2?
C'est Orie Izuno,
une danseuse de buto. (né en 1959, le buto est une danse de révolte
passant par le maquillage corporel, la contorsion et des grimaces faciales effrayantes.
Dont acte avec Sadako!, ndlr)
Que pensez vous
de Rasen en tant que spectateur?
Joji Iida, qui
a écrit le scénario et réalisé le film, avait dit
qu'il ne voulait pas tellement faire un film d'horreur, et c'est vrai que ce
n'est pas un film très effrayant. Personnellement, je n'ai pas du tout
eu peur. Du point de vue de la relation parent/enfant, c'est assez intéressant,
mais autrement je n'ai pas trouvé ce film formidable ni très intéressant.
En tout cas, ce n'est pas un film d'horreur et c'est ce que le réalisateur
voulait.
Dans Ring
2, vous faites mourir Nanako Matsushima d'une manière très
sanglante. N'avez-vous choqué ni fâché des millions de spectateurs
en faisant ça?
Non, non, je vous
rassure, personne n'a été fâché contre moi! (rires)
Nanako devait de toute façon mourir dans Rasen. C'était
donc normal de la faire mourir dans Ring 2 et on ne me l'a pas reproché!
Vous avez tourné
certaines scènes de Ring et Ring 2 sur l'île d'Oshima.
Et il paraîtrait que certaines choses très étranges se sont
passées quand vous étiez là-bas...
En fait, c'était
pendant une scène au bord de la mer pour Ring 2, mais pas sur
l'île d'Oshima. On filmait à l'intérieur d'une grotte, et
c'est vrai que dans les enregistrements du son, on a entendu la voix d'un homme
jeune qui murmurait le prénom d'une femme, "Rikako"... Et cette
voix n'émanait d'aucune personne sur le tournage, donc c'était
un peu surnaturel. Mais bon, on n'a pas eu peur, on a plutôt rigolé,
on était comme des gamins, on se disait "Non, c'est pas possible!"
Mais plus tard, il y a eu un deuxième phénomène étrange,
c'était au même endroit, encore plus profondément dans la
grotte, au bord de falaises très abruptes, et on a manifestement entendu
la voix d'un homme plus âgé qui se plaignait, poussait des gémissements
de douleur, et là, on ne pouvait vraiment rien expliquer, donc on a eu
plutôt peur! (Sûrement un spéléologue encore coincé!
ndlr)
Vous avez déclaré
adorer le mélodrame, les histoires d'amour. Alors, est-ce qu'après
le succès des Ring vous avez eu l'occasion de réaliser
le film de vos rêves?
J'ai en tout cas
réalisé The Sleeping Bride. C'est une histoire assez pure,
une belle histoire d'amour adaptée des bandes dessinées de Osamu
Tezuka, qui a fait les bandes dessinées les plus belles et les plus poétiques
du Japon. C'est l'histoire d'une femme enceinte dont l'avion s'écrase,
tout le monde meurt, mais l'enfant qui était dans son ventre est sauvé.
Simplement, cette petite fille dort jusqu'à l'âge de 17 ans, avant
d'être réveillée comme dans La Belle au Bois Dormant par
un jeune garçon...
Quel est le
sujet de votre tout dernier film, Last Scene, tourné en vidéo
numérique pour la société Digital Nega?
C'est un film fait
avec des capitaux coréens, l'histoire d'une grande star de cinéma
qui a perdu sa notoriété, qui ne tourne plus, mais qui, tout à
coup, 35 ans plus tard, retourne sur les plateaux de télévision
pour jouer des petits rôles. Le film est l'histoire des relations qu'il
noue avec les différents membres des équipes de tournage. C'est
un film très humain sur le monde du cinéma.
Entretien
réalisé par Robin Gatto
& Yannis Polinacci
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