« Féroce » est un film engagé. Il met en images le danger que représente
la propagation des idées extrémistes, racistes et intolérantes, en
Europe, sans pour autant asséner de discours théoriques. Sous la forme
d'un « thriller », ce film se propose de décrypter le message commun aux
nombreux partis d'extrême droite à travers le monde. La fiction, le
suspense et l'intrigue policière entendent séduire un public jeune,
ouvert, qui aime le cinéma, mais qui est généralement peu politisé, pour
les plus âgés fortement enclin à l'abstention et, souvent mal informé
des dérives perverses et démagogiques que véhiculent les idées de ces
partis, aussi bien en France, en Italie ou en Autriche, etc...
« Féroce » ne reste qu'un film de cinéma, mais tente modestement de
lancer un message : "Attention, méfiez vous, l'extrême droite n'est pas
morte en Europe. Elle avance de plus en plus masquée. Et ses sales idées
se répandent dans les programmes des partis traditionnels."
Plus directement, l'intention des auteurs n'a jamais été de parler d'une
personne ou d'un mouvement politique en particulier, mais de s'attaquer
au problème de fond. « Féroce » ne vise évidemment pas de manière
personnelle Jean-Marie Le Pen (Ou Bruno Megret, ou Joerg Haider, ou qui
que ce soit d'autres.). Hugues Henry Lègle, le leader d'extrême droite
joué dans "Féroce" par Jean-Marc Thibault, est un assassin, un
manipulateur, un politicien véreux... Ce n'est bien sûr qu'un personnage
imaginaire qui n'est pas, sinon cela serait fort inquiétant pour notre
pays, le patron du Front National. Comment Jean-Marie Le Pen qui
s'affirme intègre, droit, sincère et irréprochable, peut-il se retrouver
dans le portrait d'un commanditaire de meurtres, brutal, fasciste et
raciste ? Ce n'est pas sérieux !
À moins que Jean-Marie Le Pen, qui est en campagne électorale, ne soit
en train de développer avec cette affaire, sa stratégie de toujours :
passer pour une victime. Il serait alors vraiment malhonnête de sa part
de taper sur un film qui a déjà eu, et a toujours, toutes les peines du
monde à exister puis à sortir en salles.
Avant même le tournage, toute l'équipe imaginait bien qu'il était
compliqué, voire dangereux, en France, de toucher à la plaie ouverte de
l'extrême droite. Mais personne ne pensait que ce serait aussi
difficile. « Féroce » n'a trouvé quasiment aucun financement ! Seul
Canal + a finalement accepté de participer à l'aventure. Et ce sont les
« comédiens-citoyens », qui, en travaillant gratuitement, ont permis au
film de se faire. Ensuite, le film terminé, les distributeurs intéressés
au moment du visionnage ont finalement, après « réflexion ! », refusé de
le sortir. Après des mois de ce même petit manège, Tetra Media, la
société de production, a investit 400 000 ¤ pour que le film puisse voir
enfin le jour le 17 avril 2002. (On imagine aisément les dégâts pour
cette société de production indépendante si le FN et Jean-Marie Le Pen
obtenaient l'interdiction du film).
Mais le combat n'est toujours pas terminé ! Aujourd'hui, « Féroce »
affronte le barrage des programmateurs de salles de cinéma. Pour
l'instant, seul le programmateur d'Europalace (Gaumont/Pathé) et
quelques exploitants indépendants courageux ont accepté de prendre le
film dans leurs cinémas. Alors que « Féroce » va susciter débats,
articles, critiques, émissions de radio et de télé, et même maintenant
un procès, plus des trois quarts des spectateurs français n'auront pas
accès au film. Par exemple, de Marseille à Nice, ou de Strasbourg à
Lille, le film ne sera programmé dans aucune salle. À quelques
exceptions près (Montpellier, Perpignan), on retrouve là bizarrement la
cartographie du vote d'extrême droite hexagonal. Hasard ?
Bien sûr, chacun est libre de juger de l'aspect purement
cinématographique du film, et de l'apprécier ou pas. Mais autant
d'acharnement devient suspect ! Même si l'on a encore espoir que la
situation se débloque, à Paris, le film n'est programmé, à ce jour, que
dans une salle et demie ! 90 % des habitants de la capitale ne verront
donc pas « Féroce ». UGC comme MK2, (ce dernier circuit ne s'affichant
comme défenseur de la liberté d 'expression et du pluralisme que quand
il s'agit du film : « Baise-moi » !) ont violemment rejeté le film. Ils
se placent aujourd'hui d'eux-mêmes en alliés objectifs des censeurs, et
donc de Jean-Marie Le Pen. C'est aussi ça la puissance de l'extrême
droite : elle a des adeptes partout. Et fait peur à beaucoup d'autres.
Et si on interdit au film de sortir en salles, alors pourquoi s'arrêter
en si bon chemin ? Il y a aussi des livres, des sites Internet qui
combattent les idées d'extrême droite, pourquoi ne pas déclarer
hors-la-loi les réunions des nombreuses associations nationales et
locales qui luttent pour une démocratie sans extrêmes.
Gilles de Maistre