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Jacques Rivette ou l’amour fou
Nous venons d’apprendre avec beaucoup de tristesse la disparition de Jacques Rivette. Né à Rouen en 1928, il était l’une des figures marquantes de la Nouvelle Vague, ancien critique aux Cahiers du cinéma comme ses amis François Truffaut, Jean-Luc Godard, Eric Rohmer et Claude Chabrol. Il fut le premier à passer à la réalisation, avec son court-métrage Le Coup du Berger en 1956. Son premier long métrage, Paris nous appartient, coproduit par Chabrol et Truffaut, ne sort qu’en 1961 et donne le thème ou le motif de toute son œuvre à venir : le goût du secret et des complots, l’exploration inédite du temps et de l’espace, la fascination pour les trompe-l’œil et la pensée magique, portée par une inspiration romanesque qu’il revendique et va puiser chez des auteurs de chevet : qu’ils soient écrivains comme Balzac, Henry James et Pirandello ; ou cinéastes comme Jean Renoir, le patron, que Rivette admire et interviewera en 1967 pour la série « Cinéastes de notre temps ».
Rivette n’aura eu que deux passions, le cinéma et le théâtre. Ou plutôt une seule : le théâtre se jouant dans l’espace et les codes du cinéma. Cela ne pouvait s’envisager sans une troupe de comédiens et comédiennes, avec laquelle Rivette a œuvré durant plus d’un demi-siècle. Il y avait dans cette troupe des figures marquantes, par exemple Bulle Ogier, la plus fidèle de ses actrices. Mais aussi Michel Piccoli, Emmanuelle Béart, Sandrine Bonnaire, Jeanne Balibar, Nathalie Richard, Bernadette Lafont, Juliet Berto, Laurence Côte, Marianne Denicourt, Jean-Pierre Kalfon, Jacques Bonnaffé, Marianne Basler, Jerzy Radziwilowicz, Benoît Régent, Jane Birkin, Géraldine Chaplin, et plus récemment Guillaume Depardieu dans Ne Touchez pas à la hache (en 2007). Son œuvre expérimentale et singulière compte des films connus du public comme La Religieuse, avec Anna Karina, d’après Diderot, censuré lors de sa sortie en 1966, ce qui occasionna une véritable bataille rangée contre le ministre de la Culture de l’époque, M. Yvon Bourges, mobilisant presque tout le cinéma français. Ou encore Céline et Julie vont en bateau, avec Marie-France Pisier, Bulle Ogier, Dominique Labourier et Juliet Berto, pour lequel Rivette osa braver les codes traditionnels du cinéma en demandant aux actrices impliquées dans le film d’écrire elles-mêmes des parties du scénario. Ou encore La Belle Noiseuse, qui met en abyme la question de la création artistique, avec Piccoli et Emmanuelle Béart, découvert au Festival de Cannes en 1991.
Mais l’œuvre de Rivette c’est aussi d’autres films-dédales, amples et longs, frôlant le fantastique, comme L’Amour fou, Out 1 : Noli Me Tangere, qui vient de faire l’objet d’une réédition par Carlotta, et Le Pont du Nord, qui entraînent Bulle Ogier et sa fille Pascale Ogier au cœur d’un Paris en chantier et en pleine mutation (le film à petit budget fut tourné entièrement en décors naturels). Il faut également mentionner, plus récemment, La Bande des Quatre, les deux volets de Jeanne d’Arc, avec Sandrine Bonnaire, de même que Haut Bas Fragile, Secret Défense, Va Savoir, Histoire de Marie et Julien, Ne touchez pas à la hache et son dernier film réalisé en 2009, 36 vues du Pic Saint Loup. Extrêmement rigoureux et précis, Rivette aimait travailler avec des scénaristes fidèles, comme Jean Gruault qu’il partageait avec Truffaut et Resnais, puis Pascal Bonitzer et Christine Laurent avec lesquels il écrivit un grand nombre de ses films, la plupart produits par Martine Marignac et Maurice Tinchant au sein de Pierre Grise, souvent distribués par les Films du Losange. Secrète mais féconde, l’œuvre de Rivette, souvent marginale à l‘intérieur du cinéma français, garde encore presqu’entièrement ses secrets et ses charmes, qu’il est temps de redécouvrir. Le magnifique documentaire de Claire Denis et Serge Daney qui lui est consacré, Jacques Rivette, le veilleur (1990), ne prétend pas résoudre le mystère, mais donner des clefs sur les enjeux poétiques, politiques et métaphysiques de sa mise en scène. Jacques Rivette continuera de veiller sur le cinéma français.
Il y a trois ans, Jacques Rivette avait fait don de ses archives à La Cinémathèque française.
La Cinémathèque française 01.02.2016 | Editor's blog Cat. : PEOPLE
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Chatelin Bruno
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