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Journée Gender au Festival de film Filmar en América Latina

« Journée Gender » au Festival de film Filmar en América Latina
Jasmine Champenois, Genève


C’est une première pour un festival de film. Non pas une section « films de réalisatrices », ni même une sélection de films sur les femmes pour satisfaire nos appétits féministes. Plus significatif encore : une journée entière consacrée aux questions de genre. Une initiative salutaire qui n’a pas manqué d’attirer le public genevois.

Un festival au cœur de la cité
Quand on questionne son directeur artistique, Gérard Perroulaz, sur les motivations à l’origine de cette journée « gender », il s’enthousiasme : « nous avons toujours montré une vaste sélection de films traitant des rapports sociaux de sexe, mais il fallait les rassembler sous une même bannière pour les mettre en relief. C’est ce que nous avons fait en partenariat avec l’Institut Universitaire d’Etudes du Développement ». Il est vrai que la journée « Gender » tombait à pic juste après le colloque genre à l’IUED. Le festival Filmar en América Latina démontre une volonté d’associer cinéma et travaux académiques. Pour preuve, le nombre impressionnant de tables rondes et de partenariats universitaires, syndicaux ou associatifs durant les trois semaines festivalières. Le festival semble se dessiner progressivement comme une plateforme de débats pour les questions qui touchent le cœur de nos cités.

Heureusement donc que les rapports sociaux de sexe s’imposent dans ce décor. Un vaste choix était offert au public : huit films et documentaires, deux tables rondes et la présence de plusieurs réalisatrices et réalisateurs. Trois pays sont passés à la loupe : le Nicaragua, avec le documentaire Unser Amerika (Notre Amérique) de la suissesse Kristina Konrad (2005) qui aborde la question des femmes combattantes sandinistes au Nicaragua et recherche ce qu’elles sont devenues 25 ans après. Même pays, autres vies de femmes, le documentaire De Nina a Madre (Mère au sortir de l’enfance) de Florence Jaugey (Nicaragua) présente la vie de trois jeunes filles qui sont devenues mères avant même d’avoir pu devenir femmes. Cuba était également à l’honneur avec un documentaire sur la première femme médecin, un autre sur la première cinéaste et enfin le documentaire de Carlos Barba Memorias de Lucia sur le chef d’œuvre du cinéma cubain « Lucia » de 1968. Le troisième pays à l’affiche dans cette journée genre fut le Mexique : c’est là que l’originalité particulière d’un documentaire a permis d’articuler le plus clairement les concepts de genre.

Le choc Ursula Biemann
En effet, le documentaire Performing the Border (Suisse, 1999) de la zürichoise Ursula Biemann nous a fait l’effet d’une révélation. Cet essai-vidéo (comme elle le définit) a été filmé à la frontière mexico-étatsunienne où prolifèrent les maquiladoras, ces usines d’assemblages d’équipements électroniques américaines et européennes. Ce documentaire analyse les rapports sociaux de sexe de cette zone à travers la division sexuée du travail, la prostitution, l’industrie du divertissement et la violence sexuelle. Son mélange judicieux entre entretiens, images dérobées et réflexions théoriques ne peut laisser le spectateur indifférent. Ursula Biemann permet non seulement aux femmes des maquiladoras de faire entendre leurs voix mais utilise également l’image et leurs témoignages pour une démonstration sans appel : « gender matters to capitalism ».

Le genre de la frontière Mexico/US
L’essai démarre par une réflexion sur la nature imaginaire de la frontière : « border is just a discursive notion, highly constructed and reproduced. It exists only if you cross it ». En écoutant les stratégies des femmes vivant à Tijuana ou Ciudad Juarez, cités tristement connus pour leur pauvreté et leur insécurité, le spectateur devient peu à peu conscient des relations de pouvoir entre les sexes, les classes et les nations que la frontière produit. Ce sont surtout des femmes qui travaillent dans les maquiladoras, ces usines occidentales à très forte valeur ajoutée comme Philipps, Thomson, General Motors etc. Mais la raison n’est pas l’émancipation féminine : ces usines requièrent une main d’œuvre « docile », isolée et vulnérable. Une immigration considérable de jeunes femmes venues des régions rurales pauvres nourrit les besoins de ces usines. Leurs revenus ne dépassent pas en moyenne $3.40 par jour.

Autant dire que la vie du côté mexicain de la frontière n’est pas sans difficulté. Le travail répétitif, harassant est misérablement rémunéré. Les services sociaux et municipaux sont inexistants. Pire encore, la violence sexuelle y sévit sans relâche. A un niveau domestique d’une part, mais également dans les rues : 124 jeunes femmes ont été retrouvées violées et torturées depuis 1983 dans les villes jouxtant la frontière, d’autres sont portées disparues. La réalisatrice évoque les crimes, émet des hypothèses : « in maquiladoras, women’s body are fragmented, dishumanised, disposable ». Le système d’exploitation des femmes dans les industries de la frontière rend le corps et la vie des femmes strictement contrôlés : elles sont la propriété des managers, des hommes blancs. Ces diverses formes de violences sexuées sont quotidiennes et reflètent les relations de pouvoir entre les deux nations voisines, le Mexique et les Etats-Unis. Les relations de pouvoir économiques et politiques s’avèrent intimement liées aux relations de genre.

Ursula Biemann a fait mouche. Elle a su mélanger réflexion théorique et langage cinématographique pour livrer une réflexion aboutie sur les constructions de genre et la performance, chère à Judith Butler. Et si l’Université, les médias et les politiques prenaient exemple sur le festival ? On se prend à rêver à la multiplication de réflexions réalistes et stimulantes sur les rapports sociaux de sexe, enfin au centre des préoccupations de nos cités.

Pour aller plus loin :
Le site d’Ursula Biemann, www.geobodies.org
Sur la frontière Mexique/Etats-Unis, www.corpwatch.org
Judith Buthler, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity. New York: Routledge, 1990.

Article à paraître dans le journal L’Emilie, décembre, Genève.

Autre réalisatrice, autre subjectivité. Lors de la journée genre, la cinéaste italienne Cécilia Ricciarelli a présenté avec son mari, Diego Malquori, leur dernier documentaire Zapata dans les montagnes du Chiapas (2004). Formidable exemple de métissage théorique et empirique, leur opus a charmé le public genevois. Rencontre avec une réalisatrice déterminée.

L’Emilie : Quel est le parcours qui vous a mené au cinéma ?

Cécilia Ricciarelli : J’ai fait un doctorat à Paris sur le cinéma cubain. J’avais envie de sortir de l’analyse et de la théorie, alors avec Diego nous avons tourné notre premier documentaire sur Cuba, Havana Hoy. Depuis on a continué à travailler ensemble.

L’Emilie : Pourquoi avoir choisi le mouvement zapatiste pour votre deuxième film ?

CR : On a eu l’opportunité de vivre 3 ans au Mexique. Cela nous a permis de faire des rencontres et de gagner la confiance des gens. Les zapatistes sont très difficiles à filmer. On a pu ainsi donner la parole aux paysans, utiliser les symboles de leur lutte comme les chants, la peinture et aussi la danse. Le mouvement zapatiste est un mouvement armé mais en faveur de la paix. On voulait également élargir la question au niveau mondial, c’est pourquoi nous avons ajouté un entretien avec le sociologue Alain Touraine.

L’Emilie : Avez-vous un intérêt spécifique pour les questions de genre ?

CR : On n’a pas développé un projet spécifique sur les femmes mais on a toujours un regard privilégié sur elles. Dans ma thèse, j’avais montré qu’il y avait très peu de réalisatrices cubaines et j’avais analysé les réponses données (par les hommes !) à cet état de fait. Dans notre travail sur le Chiapas on a donné une part importante à une entrevue avec une femme très forte représentant les femmes zapatistes aujourd’hui. Des femmes sont commandantes dans l’armée. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire dans les foyers.

L’Emilie : Que pensez-vous des festivals de films de femmes ?

CR : Je n’ai jamais été invitée dans ces festivals. Mais je trouve qu’ils sont très utiles. Dans le cinéma, les hommes ont toujours plus de poids que les femmes, or elles peuvent apporter un regard différent, une sensibilité différente. Donner la voix aux femmes dans les films reste aussi essentiel. Par exemple, dans les conflits, c’est souvent grâce au travail des femmes en second plan qu’on arrive à des résolutions. Nous avons vécu en Israël où les mères palestiniennes et israéliennes étaient des médiatrices pour la paix. Elles partagent un point commun en tant que mère et un certain recul.
C’est important également d’avoir des films fait par des femmes. Même si cela reste difficile d’être femme et artiste. Sur notre tournage au Chiapas, on devait emmener notre maison avec nous car on avait nos deux petites filles. Elles aussi ont bien travaillé ! Heureusement, les femmes auront toujours quelque chose à dire et le cinéma n’est qu’un des multiples moyens pour le faire.

Diego s’était mis en retrait. On lui propose d’intervenir.
Diego Malquori : J’aime bien travailler avec les femmes car elles ont une sensibilité particulière. Je sens aussi ma perception féminine en moi. C’est intéressant de travailler à deux car on doit exposer nos points de vue et parfois on arrive à une troisième réflexion issue de nous deux. Comme je suis parfois un peu borné, je suis bien content de travailler avec une femme, et en plus, ma femme.

Propos recueillis à Genève, 26 novembre 2005 (extraits). JC.

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