Entretien avec Claude Chabrol (Deuxième partie)
Après le Polar, Claude Chabrol évoque son travail de façon
plus générale et revient notamment sur les collaborations qui
ont le plus marqué sa carrière telles que Marin Karmitz ou Isabelle
Huppert, tous deux présents d'ailleurs lors de son hommage à Cognac.
Pour
le festival de Cognac, vous avez choisi un programme de six films. On remarque
qu'il y a un Lang, mais pas de Hitchcock. Vous sentez-vous plus proche de Lang
?
Je me sens proche des deux. Enfin, ma façon de tourner serait plus proche de
celle de Lang que de celle d'Hitchcock, mais je n'arrive hélas ni à l'un, ni
à l'autre.
Qu'est-ce qui vous plaît le plus chez Lang, est-ce l'évidence de la mise
en scène ?
Oui, c'est cette espèce de rigueur terrible dans la manière dont c'est tourné
qui lui permet d'avoir des effets surpuissants à partir de rien. Et ça, c'est
épatant de faire des petits bruits épouvantables, des ruptures sonores et visuelles...
Chez lui une porte s'ouvre et l'effet est bien plus grand que tout un fracas
sonore. C'est bien, ça.
Quand vous préparez votre mise en scène, est-ce que vous avez tout en tête dès
le moment de l'écriture ?
Je ne peux pas commencer à travailler sur un film avant de savoir exactement
ce que va être le film. Cela dit, je ne suis pas fou, j'ai une forme en tête
qui est transcrite mais uniquement pour moi. Personne n'est capable de lire
la visualité du film en lisant le scénario, mais moi je peux. Je sais que telle
virgule correspond à telle chose. Mais en même temps, je sais très bien que
des tas de problèmes vont me tomber sur le dos, que les décors ne seront pas
forcément ceux dont j'ai rêvé, donc j'essaie à chaque fois d'obtenir soit la
même chose, soit l'équivalence. Mais il faut savoir au départ ce qu'on veut
pour être sûr d'obtenir l'équivalence, il faut savoir le suc de la chose.
Vous collaborez avec le producteur Marin Karmitz depuis 1985 (depuis Poulet
au Vinaigre, ndlr), qu'est-ce que cette collaboration vous a apporté ?
Il est formidable parce que je n'ai pas à chercher, je n'ai pas à perdre de
temps entre le moment où je lui donne le scénario et celui où je décide de tourner.
J'écris au moment où je sens que ça vient, je lui demande de tourner à telle
époque... C'est comme cela que ça se fait, à condition de ne pas tourner de
films trop chers, ce sont des films dans la petite moyenne du coût d'un film
dans le cinéma français. Un autre de ses avantages c'est qu'il est très bon
lecteur de scénario, parce que souvent les producteurs lisent mal les scénarios.
Quand il dit que cela ne va pas, qu'un truc le gêne, il faut revoir les choses.
Bien entendu, il ne faut absolument pas écouter ce qu'il vous donne comme remède
parce que souvent cela ne tient pas debout, ce n'est pas bon. (rires) Mais le
petit point qu'il a trouvé, c'est toujours juste, il faut toujours faire attention.
Sauf si on réussit à le justifier, à ce moment-là, il ne dit plus rien.
Est-ce que cela vous gêne de devoir toujours vous contraindre à la même fourchette
de budget ?
Non, je n'aimerais pas avoir moins parce que cela m'obligerait à trouver des
moyens différents, mais plus... Il faut se méfier de ces trucs-là. J'ai eu à
ce propos une aventure assez marrante, il y a une dizaine d'années. Je tournais
un film en Allemagne (Docteur M, ndlr), c'étais une coproduction, et
il y avait trop de monde. Je demandais trente figurants, il y en avait cinquante,
il y avait trop de régisseurs... Je me demandais ce qu'il se passait et en réalité
c'était une tentative d'escroquerie (rires) de la part du directeur de production
qui essayait de reprendre le film au producteur et essayait de dépenser un maximum
d'argent dès les premières semaines pour pouvoir le prendre à la gorge. Il faut
toujours se méfier quand on a trop de moyens. Ce qui est bien, c'est d'avoir
ce qu'il faut. Quand on a ce qu'il faut, il n'y a pas de problème. Par contre,
il faut avoir le temps minimum de tournage. C'est pour cela que je boude terriblement
la télévision alors que j'en avais fait beaucoup dans le passé, parce qu'ils
en sont vraiment arrivés à des temps de tournage impossibles. Entre vingt, vingt-trois
jours, c'est vraiment crétin ! Les types ont à peine le temps de réfléchir,
ils sont obligés de faire cette espèce de truc d'enregistrement... Il n'est
pas question de faire de l'Art comme on dit. (rires)
Vous avez souvent travaillé avec les mêmes acteurs au cours de votre carrière,
mais souvent dans des types de rôles différents. Est-ce que vous vous attachez
particulièrement à leur proposer des choses variées ?
Les acteurs qui jouent tout le temps la même chose, je m'en méfie beaucoup.
Quand je reprends les mêmes, ce n'est pas seulement parce qu'ils ont été bons,
c'est aussi parce que je n'ai pas eu de mal à communiquer avec eux. Il y a souvent
ce problème de comunication avec un acteur ou une actrice et le pire moment,
c'est quand on est obligé de lui donner une indication précise. Ca prouve alors
qu'on a raté son coup, logiquement elle ou il doit trouver ce qu'on cherche.
Alors quand je trouve des gens qui parlent le même langage, le même volapuc,
je prends plaisir à retravailler avec eux. C'est pour cela que j'ai tendance
à reprendre les mêmes gens. Mais parfois, il y en a que je rencontre comme ça,
que je vois dans des spectacles et je me dis : " celui-là, il va aller. " J'ai
une fille qui est formidable pour ça, qui connaît tout le monde, qui est la
reine du casting. Elle va me dénicher le mec, et ça fonctionne toujours bien.
C'est pour cela que vous aimez par exemple travailler avec Isabelle Huppert
?
Avec Isabelle la complicité est devenue telle, que cela en est presqu'un jeu.
C'est à dire qu'on s'en dit le moins possible. C'est tout juste si on ne fait
pas ça (il pointe son index contre sa joue) et c'est l'histoire du monde des
origines à nos jours ! (rires) Elle est très finaude, il suffit de lui dire
très peu de choses. Par exemple, pour "Le Chocolat" (Merci
pour le Chocolat, ndlr), je ne lui ai pas donné d'autre indication que
: " Est-ce que ça t'amuserais de faire une perverse totale ? " Alors elle dit
: " Oui, oui, oui, oui. " Et je rajoute : " Et suisse de surcroît. " Et elle
dit : " Formidable! " Elle a compris ce que je voulais dire !
Première
Partie : le Polar
Propos
recueillis par Yannis Polinacci & Robin Gatto