Le temps à Deauville est comme le festival, sa monotonie nuageuse n’est percée que par à coups d’éclats de lumière qu’on voudrait plus persistants. D’une relative tranquillité depuis son début, le festival semble souffrir de son manque de grandes stars. Nous l’avons déjà dit, cette année pas de Cint Eastwood, d’Harrison Ford ou d’Al Pacino pour déplacer les foules. Du coup, malgré quelques irréductibles, les allées sont désertes et les journalistes brillent par leur absence en conférence de presse.
C’est l’impression que donnait en effet la salle de presse hier à treize heures pour la venue de Marc Levin, réalisateur du premier film en compétition Brooklyn Babylone. Malgré sa caméra d’or obtenue à Cannes il y a trois ans pour Slam, le cinéaste n’a guère suscité l’intérêt de la presse. A moins que l’explication soit ailleurs. « C’est comme à Cannes, comme Canal retransmet les conférences en direct, les journalistes préfèrent rester dans leur chambre pour les regarder et prendre des notes » note une collègue.
Pourtant quelques heures plus tôt, la même salle était comble pour recevoir l’équipe du film Les Jolies Choses et son casting de stars made in France : Patrick Bruel, Ophélie Winter, Marion Cotillard, Titof et Stomy Bugsy. Mais ce fait ne saurait tromper personne : il y avait sans doute là plus de public que de journalistes, le festival ayant souvent la générosité de laisser entrer les badauds pour combler les places vides. Ce qui nous vaut quelques questions comme celle posée par une dame à Patriiiiick : « quand est-ce que vous venez chanter à Deauville ? »
Si le film en lui-même, lauréat du prix Michel d’Ornano, n’a pas convaincu tout le monde, il eut toutefois le mérite de réveiller un peu le festival en causant la première véritable émeute depuis l’ouverture. Que ce soit devant le Normandy, où toute l’équipe est descendue, ou devant le Casino, où avait lieu la remise du prix, la foule était compacte pour tenter d’apercevoir ses chouchous. L’Amérique se fait voler la vedette par la France. Un comble à Deauville.
Mais le réveil du festival n’est pas à mettre au seul crédit des Jolies Choses. Il vient aussi de deux films qui chacun à leur manière ont touché le public. C’est le cas tout d’abord de Brooklyn Babylone de Marc Levin, sorte de Roméo et Juliette ou de West Side Story qui met aux prises les communautés juives et noires de New York. Si le film est d’un symbolisme trop appuyé, dans le genre Ferrara s’était beaucoup mieux débrouillé avec China Girl, il peut aussi séduire par une remarquable bande son, ce qui est une habitude chez le cinéaste.
Plus dérangeant fut le nouveau film de Larry Clark, présenté ici après un petit tour à Venise. Relation implacable d’un crime monstrueux, Bully raconte comment une bande d’ados middle class d’une banlieue de Floride décide de tuer sauvagement l’un des leurs. L’histoire fait d’autant plus froid dans le dos qu’elle est adaptée d’un fait réel. Pourtant, à force de séquences sur les vices en tout genre de ce groupe de dégénérés, Larry Clark rend son film tout simplement invraisemblable. Dominés par le sexe, la drogue et les jeux vidéos les personnages de Bully sont trop nets et pas assez opaques pour poser la vraie question : comment des enfants peuvent-ils commettre de telles horreurs ? Cette interrogation vient à peine à l’esprit des spectateurs en voyant le film. On se croit en pleine science-fiction avec des personnages extra-terrestres qui sont plus des aliens que des enfants d’humains. Le sentiment d’inquiétante étrangeté qu’aurait pu faire naître plus d’opacité est éludée et on se demande si le public américain auquel est destiné le film se sentira vraiment concerné.
Plus reposant sans doute, le programme d’aujourd’hui propose deux autres films de la compétition (Ghost World et Jump Tomorrow) et en soirée l’hommage à James Dean, interverti avec la présentation de Blow, qui aura lieu mercredi, à cause de l’emploi du temps de Johnny Depp. On attend beaucoup de la venue du jeune acteur préféré des cinéphiles français pour relever le baromètre. Mais il faudra patienter un jour de plus.
Yannis Polinacci