Bénédicte, qu'est ce qui vous a décidé à
poursuivre une carrière dans l'audiovisuel ?
Bénédicte Liénard : C'est une rencontre avec le
cinéma, mais surtout un désir de parler des gens. C'est vrai que
depuis l'enfance et l'adolescence je suis quelqu'un de très gourmand
au niveau des rencontres. Les gens me passionnent. Passer un moment avec un
ouvrier, un épicier, un autre moment avec le boucher du coin, avec le
curé du village, pourquoi pas, c'est vraiment une manière de vivre
ma vie depuis l'adolescence, d'ouvrir des portes, d'aller voir ce qui se passe
dans les maisons. Cette curiosité de la vie, des choses quotidiennes,
c'est quelque chose qui fait partie de moi, vraiment. Je préférais
pousser une porte et aller voir ce qui se passait dans une cuisine que d'aller
jouer avec les copains. Donc pour moi, rencontrer les autres, parler des autres
et faire des images avec ces gens là, c'est venu très vite. De
cet intérêt pour les gens est venu le désir de la mémoire,
mémoire de la rencontre. Et qui dit mémoire de la rencontre dit
très vite cinéma, finalement.
Les études de cinéma, c'était pour peaufiner la technique
afin de filmer ces rencontres ?
Oui, absolument. Il faut savoir que je ne viens pas d'un milieu artistique,
ni d'un milieu de cinéphiles. Donc à la maison, il n'y avait pas
ce rapport au cinéma ni à l'art. Il y avait davantage ce rapport
aux autres. Donc, pour quelqu'un qui ne vient pas d'un milieu artistique, qui
ne connaît pas déjà des gens qui sont dans le cinéma,
etc., l'école était un passage obligé car rien d'autre
ne pouvait me conduire au cinéma. Et en plus, c'est vrai que l'apprentissage
d'un langage comme le cinéma est complexe. Donc j'ai pris le temps de
l'étudier et de grandir là dedans.
On reconnaît dans votre film un style né des régions
du Nord, belgo-françaises, qu'on a vu chez les Dardenne, avec Rosetta,
ou Bruno Dumont, avec L'Humanité. Qu'est ce qui est si particulier
à ces régions qu'il en sort un style propre, qu'on pourrait qualifier
de docu-fictionnel ?
La Belgique est un tout petit pays, et ça nous demande à nous,
réalisateurs, une navigation particulière pour avoir les moyens
de tourner. Un cinéaste belge n'est pas sur un territoire qui va pouvoir
lui proposer un financement complet, par exemple. Donc il y a toujours de l'argent
qui vient de partenaires. Il y a donc des moyens d'emblée limités
et l'école documentaire s'est développée davantage que
la grosse machine fiction dès que Joris Ivens et Henri Storck ont commencé
de tourner. Donc il y a une culture du documentaire qui correspondait aussi
à la nécessité de filmer et à la réalité
de moyens quand même assez réduits. Donc le cinéaste belge
apprend rapidement à être en équipe réduite, avec
une petite caméra et à aller à l'essentiel de son sujet.
Ca n'exclut pas la fiction, puisque les cinéastes belges font aujourd'hui
autant de fictions que de documentaires. Mais on vient d'abords du rapport documentaire.
Pour moi, le documentaire est quand même une culture à part entière.
Des gens comme Joris Ivens et Henri Storck ont vraiment fondé notre culture
cinématographique. Ou Paul Meyer avec Déjà S'Envole
la Fleur Maigre [film censuré jusqu'en 1995, ndlr] On retrouve dans
notre cinématographie des choses de cet ordre là. Qui étaient
vraiment de l'ordre de la nécessité, puisque le cinéma
belge n'a pas une longue histoire finalement. Cependant, les cinéastes
de ma génération sont de plus en plus nombreux et la possibilité
de faire du cinéma chez nous s'est très fortement développée
en gros depuis Toto le Héros de Jaco Van Dormael. C'est ce film
qui a vraiment ouvert une perspective au cinéma belge qui tout à
coup est devenu plus international et considéré. Jaco a ouvert
une porte à ce moment là et on est tous arrivés, on attendait
ça ! (Rires) Donc c'est une école de la vie et une économie
de la vie qui fait qu'on est dans cette logique là. Et par rapport à
la culture du nord, je dirais que les gens du nord sont peut être plus
en contact avec la nécessité des choses que des gens qui ont le
soleil, qui peuvent se promener, développer des formes plus poétiques.
Nous, la poésie, on doit la trouver quelque part dans le réel.
Vous avez déjà exploré le thème de la prison
en photo, vidéo, le thème de la délinquance adolescente
pour la télévision, ainsi que l'univers syndical. Une Part du
Ciel est votre premier long métrage de fiction. Cela semble une étape
tout à fait naturelle
J'ai fait des rencontres très, très fortes durant ces dix dernières
années, et c'est ma vie qui me conduit à formuler mon cinéma.
Je rencontre des gens, je les filme, ils viennent à la maison, etc. Donc
ma rencontre avec les femmes détenues a été très
forte. Donc arriver à la fiction, c'est pour moi formuler à partir
du réel ce que j'appelle " l'utopie des possibles ". Entrer
dans la fiction, c'est dire : " Nous allons nous redresser et permettre
à la fiction de dire ce que nous sommes si les formes répressives
du réel n'avaient pas de force, de poids sur nous. Donc Une Part du
Ciel raconte une possibilité de vivre debout, d'exprimer des valeurs,
sans qu'il y ait la répression qui, dans le réel, se serait bien
entendu opérée bien avant que le film ne se termine ! (Rires)
Parlez-nous du choix de Séverine Caneele.
C'était pour moi une évidence. J'ai besoin de filmer des gens
ancrés dans le réel, qui ont une force évidente que le
film ne va pas dénaturer. Séverine est une femme magnifique, et
pour moi un être profondément cinématographique. Elle attire
la caméra. Il y a un bonheur à la filmer, parce qu'elle est forte
et qu'elle est dans un rapport à l'image qui n'est pas dans l'ordre du
jeu, mais du " je ", " je " suis à tel moment, "
je " prends ce réel et " je " te le donne à voir...
Elle est vraiment dans ce rapport là. C'est très simple de travailler
avec Séverine.
Carol Shyman & Robin Gatto