Longtemps interdit de faire des films dans son propre pays, le réalisateur roumain Lucian Pintilie est revenu avec une belle vengeance en 1998 quand son magnifique Terminus Paradis a reçu le Grand Prix Spécial du Jury au Festival du Film de Venise. Le réalisateur querelleur et plein d'esprit dont les talents artistiques sont très variés est de nouveau en compétition à Venise cette année avec L'Après Midi d' un Tortionnaire, la terrifiante histoire d'un tueur de prêtre qui a été recruté par les communistes dans les années 50 pour torturer des prisonniers politiques. Mais avant cela, Lucian Pintilie repense à sa difficile mais productive carrière pour Filmfestivals.com.
Votre carrière dans votre propre pays a été irrégulière à cause des autorités roumaines...
En effet, le gouvernement roumain m'a interdit de faire des films pendant 15 ans. Plus tard, on m'a autorisé à travailler au théâtre, mais toujours pas au cinéma. J'ai alors réalisé une pièce de théâtre, "Le Revizor" qui a été censuré par le gouvernement, et j'ai donc arrêté mes activités théâtrales. Après ça, on m'a dit que je devais quitter le pays mais j'ai refusé. J'en ai eu assez des injustices de la bureaucratie et contre le fait de perdre ma nationalité roumaine. Je suis revenu en Roumanie régulièrement pour voir ma femme qui est une très bonne comédienne. Je n'ai pu retravailler en Roumanie qu'en 1980, après que mes "crimes" soient effacés. Ils se sont rendu compte que j'avais un certain succès théâtral à Paris, alors ils ont décidé de me laisser revenir. On a convenu que je pourrais tenter une fois de plus de réaliser un film ce que j'ai fais avec Scènes de Carnaval, l'adaptation d'une pièce de théâtre de 1967. Mais une fois de plus le film a été censuré et j'ai dû tout arrêter jusqu'à la soit- disant révolution.
Où avez-vous vécu pendant cette période difficile?
J'étais un vagabond pendant ces années. Je suis allé en Italie, en France, en Angleterre, aux Etats-Unis... J'ai travaillé pour l'Opéra et le théâtre. J'ai aussi travaillé avec de très bons comédiens français: Casarès, Buisson, Dauphin, Wilson ( père et fils).
Vos films ont toujours révélé un certain intérêt pour l'humour absurde...
Mon goût pour l'humour absurde est dû au fait que j'ai habité en Roumanie. Mais j'ai également réalisé des pièces de théâtre comique aux Etats-Unis, comme "Tartuffe". Cette pièce contenait quelques scènes scandaleuses pour un public bourgeois américain, mais j'ai réussi à les faire rire et leur faire apprécier les scènes de séduction, car je les ai réalisés avec mon amour de la comédie absurde qui me vient de la Roumanie. Je pense que j'ai été un artiste qui est capable de travailler au théâtre, à la télévision, à l'opéra... et j'en suis assez fier.
Qu'est-ce que vous appréciez le plus en tant que réalisateur de film ou de pièce de théâtre?
Ce que je préfère dans mon travail c'est de travailler avec les comédiens. Je pense que chaque acteur a en lui un bourgeois et un aliéné. Mon but est e découvrir l'aliéné qui se cache dans chaque acteur et de mettre ce démon dans une boîte en sûreté que je suis le seul à savoir ouvrir. Cet aliéné ou ce démon est dangereux et il pourrait détruire l'acteur s'il n'est pas contrôlé. Mais si on réussit à la canaliser dans la bonne direction, il peut donner des résultats extraordinaires.
Terminus Paradis, le film qui a reçu le Grand Prix Spécial du Jury a Venise en 1998, semble être votre film le plus sombre...
Terminus Paradis est un film très spécial à mes yeux. Le personnage principal, comme moi, ne veut plus avoir à faire avec des personnes malveillantes. Dans mes films précédents, par exemple dans Le Chêne ou dans Trop tard on trouvait des personnages qui avaient une certaine influence, qui en quelque sorte appartenaient aux autorités. Le docteur de Le Chêne est un personnage puissant, il s'occupe du foi de la femme du ministre... Il est quelqu'un qui peut être méticuleux, qui se moque des démons. Par contre, dans Terminus Paradis, le personnage principal est en prison depuis l'âge de 16 ans ce qui a pour conséquence qu'il trouve une consolation dans autre monde, le monde des animaux. Il découvre aussi quelque chose que les personnages de mes films précédant n'ont jamais découvert: un chemin pour aller au ciel, à travers une fenêtre. La première fois qu'il voit cette fenêtre sur une photo, il s'exclame: "C'est là que je veux mourir". Comme il reste fidèle à sa propre décision, c'est là qu'il va mourir. Et c'est aussi l'endroit où sa femme fait baptiser leurs enfants. Cet endroit est donc à la fois un terminus et un paradis... Il est vrai qu'il y a un certain pessimisme dans Terminus Paradis mais on y trouve également une sorte d'élégance et de mélancolie. Quelque chose s'est vraiment passé avec ce film. Peut-être que moi aussi j'ai vu quelque chose à travers cette fenêtre?
Dans L'Apres Midi d'un Tortionnaire se lie une amitié trés étrange entre une prisonnier politique et son tortionnaire…
Leur relation est en effet très étrange. Ils partagent une sorte d’intimité due au fait qu’ils se souviennent tous les deux d’un mot particulier qui était employé dans les prisons pour désigner la torture. Il se forme donc une trés étrange amitié entre eux deux. Pourquoi ? Parce que le torturé veut tout oublier. On le menace de mort, mais dès qu’il sait qu’il va vivre, sa joie explose et il commence de ressentir un étrange optimisme névrotique. Malgré sa situation, il a à nouveau l’impression que le monde est merveilleux, extraordinaire, et il souhaite avoir une relation amicale avec ses tortionnaires. C’est une sorte d’harmonie très ambigue, douteuse qui, pour moi, est le plus terrible élément de cette histoire. Oublier tout est une chose, mais oublier tout jusqu’au point d’aimer ses tortionnaires en est une autre…
Robin Gatto