Révélée à Cannes avec son court métrage
de fin d'études Small Deaths, lauréate du Prix du jury
à Clermont-Ferrand pour Kill the day et du Prix du jury à
nouveau à Cannes pour Gasman, la jeune cinéaste écossaise
Lynn Ramsay a vu son talent reconnu dès ses premiers courts métrages
avant de confirmer avec Ratcatcher et cette année Morvern Callar.
Dans ce dernier opus, Ramsay raconte l'histoire d'une jeune fille de 21 ans
face au suicide de son copain. Entre ombre et lumière, la cinéaste
qui vient d'être nommée découverte de l'année par
la critique internationale à San Sebastian se dévoile.
Tout semble avoir commencé pour vous à la National Film and
Television School...
Oui, c'est une école qui se trouve à Bakerfield, aux alentours
de Londres. Je crois qu'il faut payer maintenant pour y aller, mais à
l'époque on pouvait avoir une bourse. C'est ainsi que j'ai pu y aller.
Je ne connaissais pas grand chose au cinéma, rien pour être honnête.
J'étais photographe. Mais c'était intéressant d'arriver
là-bas sans a priori... J'y ai découvert les courts métrages
de Maya Deren, une cinéaste américaine d'avant-garde, et j'ai
été très influencée par cela. Je pensais que cette
école serait une simple étape avant d'intégrer le Royal
College of Photography, mais ce fut pour moi l'opportunité de faire un
film. J'étais très inspirée par le travail de Maya Deren
et je me suis lancée sans savoir grand chose, en faisant beaucoup d'erreurs
et en haïssant souvent ce travail.
Je pense que je n'avais pas autant d'expérience que les autres étudiants
et c'était un endroit assez compétitif. Mais finalement, j'ai
vu plusieurs films de réalisateurs différents et j'ai réalisé
qu'eux aussi faisaient les mêmes erreurs comme d'utiliser tout le temps
le même objectif. Je me demandais comment créer de l'émotion
à travers des images en mouvement et ce que ce serait de collaborer avec
d'autres personnes, parce qu'en tant que photographe, on travaille toujours
seul. Mais j'ai travaillé dès le début avec d'autres personnes
qui sont eux-mêmes des artistes et sont en fait devenus des amis.
Vous avez rencontré à l'école votre monteur, votre
chef opérateur, votre co-scénariste, votre décorateur,
et vous avez continué à travailler avec eux.
Oui. C'est intéressant parce qu'Alwin (le chef opérateur) aimait
mes photos. On avait donc la même affinité visuelle. C'est un ami
très proche. Le cinéma est un métier difficile, donc si
on a une équipe qui marche, pourquoi la changer ? Il y a une réelle
confiance et une véritable entente entre nous. A l'origine, je ne devais
pas être réalisatrice, mais pour mon film de fin d'études,
je l'ai été et j'ai dû passer beaucoup de temps pour persuader
l'école que je pouvais le faire. Finalement, il y a eu une sorte d'esprit
d'équipe entre nous et notre collaboration fut plus efficace que je ne
pensais au départ.
Vos films ont été repérés dans les festivals
dès le début de votre carrière, qu'est-ce que cela représente
pour vous ?
C'est tellement gratifiant d'être appréciée à l'international.
J'essaie de faire des films universels, pas vraiment spécifiques parce
que je parle de beaucoup de choses, et c'est sans doute pour cela qu'ils voyagent
bien. Le fait de venir à Cannes m'a bien sûr beaucoup aidée,
parce que je sortais tout juste de l'école ! Recevoir des prix fut un
sentiment étrange. Les festivals vous permettent de montrer votre travail.
Cela peut être plus ou moins rapide en matière de reconnaissance,
mais d'une façon ou d'une autre cela aide, c'est évident. Même
si Ratcatcher fut une petite sortie, il a tout de même rapporté
un peu d'argent et il est sorti également aux Etats Unis.
"Morvern Callar" est un nom étrange et il y a une scène
avec un Américain qui a du mal à le prononcer. Quelle est l'origine
de ce nom ?
"Morvern" est un vieux nom écossais et "callar"
signifie "silencieux" en espagnol. C'est donc une référence
un peu obscure sur le fait qu'elle parle peu et qu'elle ne parle à personne
de la mort de son petit ami. Mais c'est un nom un peu osé et nous avons
pensé changé le titre à un moment parce que personne n'était
capable de le prononcer. Mais après tout, "Morvern Callar"
n'est pas plus compliqué qu' " Erin Brokovich" ! (rires)
Vous semblez particulièrement intéressée par le côté
sombre de la vie.
Avec Morvern Callar, nous voulions créer une atmosphère
sombre, mais par la suite, le film est devenu plus léger, nous avons
exploré d'autre choses pour finalement aboutir à ce road movie.
Mais je pense que je m'intéresse plus aux contrastes et à la noirceur
du monde. En tant que réalisatrice, j'essaie de raconter des choses sur
les jeunes gens et leur désenchantement. Je pense que les gens voient
le côté noir, mais en fait il y a aussi un côté plus
léger, comme le personnage de Lana, une amie de Morvern qui est simplement
heureuse de pouvoir faire la fête tous les week end, tandis que Morvern
a besoin de quelque chose de plus.
Vous avez tourné en extérieur avec des acteurs non professionnels
comme Kathleen McDermott, pensez-vous que cela donne un effet de réel
plus fort ?
Oui, complètement. Cela apporte de la spontanéité. Samantha
Norton avait en elle le sentiment qu'elle pouvait tout faire, et je pensais
que c'était un personnage tellement extraordinnaire, capable de choses
extraordinnaires, qu'on avait besoin d'avoir quelqu'un d'aussi spontanné
que Kathleen. Ce mélange fonctionne bien dans le film parce qu'elles
se complètent toutes les deux.
Pourquoi ne dévoilez-vous le scénario aux acteurs qu'à
la dernière minute ?
Je ne voulais pas qu'elles connaissent l'histoire à l'avance. Ainsi,
elles agissaient comme sur le moment présente et cela apportait un sentiment
de fraîcheur. Et l'histoire se dévoilait graduellement à
elles parce que je tourne dans l'ordre chronologique du scénario. Cela
peut être plus excitant, particulièrement pour les enfants dans
Ratcatcher. Je les gardais toujours curieux de ce qui allait se passer.
Et comme j'improvise aussi un peu, cela permet d'avoir une façon de travailler
plus excitante que de répéter sans cesse la même chose.
Avez-vous un nouveau film en préparation ?
Oui, cela s'intitule The Lovely Boy et je vais le tourner à Philadelphie.
Ce sera donc mon premier film américain.
Carol Shyman & Robin Gatto