"Vous n'avez pas vraiment besoin de jouer quand vous avez une bombe qui
explose à côté de vous. On se retrouve à terre, la
peur au ventre et on se demande comment on a pu gaspiller tout ce temps et cet
argent en cours de théâtre." A l'affiche cette semaine de
Tu Peux compter sur moi de Kenneth Lonnergan, le film indépendant
qui l'a révélé, Mark Ruffalo, 33 ans, nous raconte sa trajectoire
d'acteur et nous parle avec autant de passion de ses années de galère
au théâtre que de John Woo avec lequel il vient de tourner le très
attendu Windtalkers avant d'enchaîner avec The Castle aux
côtés de Robert Redford et A View from the top avec Gwyneth
Paltrow. Rencontre avec une étoile montante qui ne se sent pas forcément
chez lui à Hollywood.
Vous attendiez-vous à ce que Tu peux compter sur moi soit
aussi bien reçu dans le monde ?
Non. Personnellement, je pensais que c'était un bon film. Je trouvais
le scénario très astucieux. Mais mes goût diffèrent
toujours de ceux de la plupart des critiques, ce fut donc une surprise pour
moi.
Qu'est-ce qui vous a attiré dans le projet ?
J'aimais la simplicité de l'histoire, la complexité des personnages
et leurs non-dit. Cela me faisait penser à Tchekov. Ce sont des personnages
qui ont des vies très complexes et je pensais que ce serait intéressant
d'arriver à montrer cela.
Une chose dont on ne parle pas dans le film, c'est de la mort des parents.
Non, pas plus qu'ils ne prononcent le titre du film. Ils le montrent seulement.
C'est cette perte qui rend les deux personnages si proches ?
C'est amusant parce que le film commence avec Sammy (Laura Linney) sur la tombe
des parents et s'achève avec Terry (Ruffalo) au même endroit. Je
pense qu'au moment où ils se retrouvent, leur vie est dans une impasse.
Terry est en colère contre le monde parce que cette chose si injuste
leur est arrivée, tandis qu'elle est plus responsable et essaie de trouver
une justification religieuse. Chacun d'eux a ce dont l'autre a besoin pour passer
à l'étape suivante de sa vie. Lui a besoin de s'occuper de quelqu'un
d'autre que de lui-même, et elle a besoin d'arrêter de s'en faire
pour tout. L'autre chose intéressante, c'est que le petit garçon
(Rory Culkin) a le même âge que Terry lorsque leurs parents sont
morts. Terry devra donc s'occuper de cet enfant sans père.
Kenneth Lonergan et vous avez commencé par le théâtre. Avez-vous
préparé ce film de la même manière qu'on prépare
une pièce ?
Nous n'avions pas autant de temps pour les répétitions. Nous
n'avions que sept jours. Mais nous avons un peu approché ce projet comme
une pièce. Kenny et moi avions fait plusieurs pièces en un acte
ensemble, et pour la plupart d'entre elles, nous n'avions que sept jours de
répétition. Pour moi, c'était donc comme pour une de ces
pièces. Quand on répète une scène, c'est quelque
chose qui grandit en vous. Et même lorsqu'on s'en éloigne, même
quand on n'y pense pas, cela continue de mûrir à l'intérieur.
Quand nous avons repris ces scènes que nous avions répété
un mois plus tard, elles étaient très riches. Je pense que c'est
cela qui a rendu les relations entre les personnages si profondes.
Cela vous a-t-il aidé d'avoir déjà travaillé
avec Kenneth ?
Oh oui. Il faut appréhender l'ego d'une personne pour pouvoir réellement
communiquer avec elle, et nous, nous avions déjà franchi cette
étape. Ce qui reste est assez pur, on arrive à se comprendre très
rapidement.
Vous avez fait beaucoup de films ces derniers mois et pendant que vous tourniez
Windtalkers, vous étiez en train de mettre en scène une
pièce Margaret. Qu'est-ce qui vous pousse à être
si actif ?
Peut-être la peur de ne pas avoir le temps de faire tout ce que je veux.
Je me sens très créatif en ce moment. Les artistes ont parfois
des sursauts de créativité dans leur carrière et quand
cela arrive il faut en profiter et surfer sur cette vague. Dans mon cas, toutes
ces choses sont arrivées en même temps. J'aurais pu dire non, mais
les opportunités étaient là, ce n'était pas des
choses que j'ai du créer moi-même. Quant à la pièce
Margaret, c'est quelque chose qui a surgit soudainement. J'étais
en train de tourner Windtalkers et je pensais avoir du temps libre au
bout d'une semaine, mais ils m'ont rajouté des scènes. Je devais
donc diriger la pièce la nuit. C'était un peu comme rentrer à
la maison.
J'ai eu un peu la même expérience avec le succès de Tu
peux compter sur moi. J'étais lancé dans l'arène publique
pour la première fois de ma vie et je me sentais un peu nu et surexposé.
Je voulais me reconnecter avec mes racines et les bases de mon travail : le
théâtre. C'était comme une bénédiction pour
moi. Je me suis dit : " Je vais retrouver ces acteurs avec lesquels je
travaille depuis douze ans sur la scène et je pourrais utiliser ce que
j'ai de notoriété pour faire savoir au monde combien ces gens-là
sont fantastiques." J'aime le théâtre, cela recharge mes batteries.
Vous avez portant failli arrêter plusieurs fois.
Oui, j'ai connu des moments difficiles. En fait, j'ai même abandonné
4 ou 5 fois. Mais je n'arrivais pas à trouver du travail. J'avais fait
30 pièces à Los Angeles et je ne pouvais pas trouver du travail.
Je faisait de petits jobs çà et là, mais aucun ne me correspondait.
Je me disais : "J'ai fait tout ce travail, pourquoi est-ce que cela ne
paie pas ?" Cela portait un coup à mon ego, qui était déjà
beaucoup en question. Je n'étais pas le meilleur candidat au métier
d'acteur. Je n'étais pas sûr de moi et je ne m'aimais pas particulièrement.
Je crois que c'est grâce à votre mère que vous avez
continué. Que vous a-t-elle dit ?
Elle ne s'était jamais immiscer dans mes décisions avant cela.
Elle m'a dit : "Je t'ai laissé faire tout ce que tu voulais. Je
t'ai laissé choisir ta vie, mais Bon Dieu, Mark, je ne vais pas te laisser
faire ça." Je voulais rentrer dans le Wisconsin pour travailler
avec mon père dans la construction. Elle m'a dit : "Bon Dieu, je
ne te laisserais pas faire ça. Si tu abandonnes, tu ne te le pardonneras
jamais" Elle a appelé mon père et elle lui a dit que s'il
me laissait revenir, elle ne lui parlerait plus jamais de sa vie. C'était
un moment très fort pour moi. Cela m'a réveillé.
Votre carrière a décollé grâce à "This is
our Youth" avec Kenneth Lonergan à New York.
Cette période, c'était comme un conte de fées. J'étais
très excité parce que je venais de la scène de Los Angeles
pour jouer dans une pièce à New York où personne ne me
connaissait. Après la première, nous étions dans un restaurant
et quelqu'un est arrivé vers minuit et quart avec le New York Times à
la main en criant : "C'est un succès ! C'est un succès !"
C'était un rêve. Je dois beaucoup à New York.
Cela a du vous donner beaucoup de confiance.
Oh mon dieu ! Je commençais à me prendre au sérieux en
tant qu'acteur. Je me suis toujours pris au sérieux, mais vous avez besoin
d'avoir confiance en vous pour vous exprimer réellement, et c'est ce
qui a changé avec cette pièce. Ensuite, les agents, les directeurs
de casting, les célébrités sont venus voir la pièce...
Soudain, j'étais connu d'un petit cercle d'élite et j'étais
respecté par mes pairs.
Avez-vous eu plus d'offres après cela ?
Je n'avais pas beaucoup d'offres, mais j'avais des opportunités. J'avais
des auditions que je ne n'aurais jamais eues auparavant.
Est-ce que le succès de Tu peux compter sur moi a eu le même
effet dans le monde du cinéma ?
Tout à fait. Cela m'a ouvert des portes. On me proposait des choses sans
que j'auditionne, ce que je n'aurais jamais cru possible auparavant. Cela a
complètement ouvert ma carrière au cinéma. C'est comme
si tout ce dont avaient besoin ces gens, c'est qu'on leur dise qui ils peuvent
prendre. Je ne suis pas sûr que quelqu'un puisse prendre une décision
seul, il y a un moment où la presse dit aux producteurs qui engager.
C'est du baratin.
Vous avez récemment travaillé sur le film de John Woo Windtalkers.
C'est une expérience qui semble très différente de ce que
vous avez fait auparavant.
J'ai finalement fait pas mal de scènes d'action. Je ne sais pas comment
mon corps a pu rester dans en forme dans la vie de débauche du théâtre,
mais je suis assez athlétique et j'ai tout de suite réussi à
faire les choses qu'il me demandait. Il m'en demandait toujours plus. Il fallait
que je cours plus, que je saute plus, que je jette plus de grenades, que je
subisse plus d'explosions, que je me batte plus au corps à corps. C'était
très amusant. C'était comme quand j'étais petit. Vous n'avez
pas vraiment besoin de jouer quand vous avez une bombe qui explose à
côté de vous. On se retrouve à terre, la peur au ventre
et on se demande comment on a pu gaspiller tout ce temps et cet argent en cours
de théâtre. C'était très différent d'un jeu
calme où vous devez vivre complètement à l'intérieur
de la pièce ou du film. C'est un monde très intérieur.
Au contraire, le jeu dans Windtalkers est plus extérieur et plus
dans la réaction entre les personnages, ce qui correspond à la
guerre. C'est quelque chose de très puissant. Je ressentais un peu c'était
d'être plongé dans la seconde guerre mondiale.
The Castle (de Rob Lurie), je suppose, va dans une toute autre direction.
C'est un film plus psychologique.
Oui, on revient à l'intérieur. C'est plus un drame qu'un film
d'action. Mais en ce qui concerne John Woo, je dois ajouter que Windtalkers
est sans doute son film américain le plus abouti du point de vue de l'histoire
et des personnages.
Est-ce que cela changera la perception que les gens ont de John Woo ?
En tous cas celle des Américains. Je pense que Une Balle dans la Tête
et d'autres films de Hong Kong correspondent plus à la véritable
personnalité de John Woo. Quand j'ai commencé à travaillé
sur le film, j'ai demandé : "John, que comptes-tu faire avec ce
film ?" et il m'a répondu : "Ce sera mon Une Balle dans
la Tête américain".
Avez-vous parlé ensemble de la violence ? Je l'ai interviewé
plusieurs fois et il m'a dit à chaque fois combien il détestait
la violence.
Il y a une chose, je pense, que les gens ne savent à propos de John,
c'est que son rêve c'est de faire une comédie musicale. C'est vraiment
son rêve. C'est un chorégraphe fantastique et en fait, la seule
manière de faire des chorégraphies en dehors de la danse, c'est
de le faire avec l'action. C'est ce qu'il fait, et c'est si beau. La façon
dont il utilise les mouvements de caméra avec les acteurs dans Windtalkers,
c'est comme une énorme production de comédie musicale, très
chorégraphiée. C'est l'homme le plus gentil, le plus pacifique
que j'ai jamais rencontré, et pourtant il fait ces films si incroyablement
violents.
Windtalkers vous rapproche du cœur de Hollywood. Avez-vous
envie d'y travailler et de vous y installer ?
Je vis à New York. J'en ai été éloigné
pendant six mois et je suis heureux d'y retourner. A Hollywood, je me sens perdu.
J'ai mes amis, qui sont mes seules attaches là-bas avec toutes ces années
de théâtre que j'y ai vécu. Mais à part ça,
cet endroit est un trou perdu, c'est comme un désert. Cela change sans
arrêt et je n'arrive jamais à m'orienter. Ce n'est pas un endroit
où j'aimerais vivre. Mais, pour être réaliste, je serais
sans doute amené à y être plus souvent.
New York pour moi, en tant qu'artiste, est une ville beaucoup plus riche.
Tout le monde ne travaille pas dans l'industrie du cinéma. Vous croisez
des gens qui se battent pour vivre dans le métro ou dans la rue. Quelque
soit l'endroit où votre regard se porte, il y a des gens qui vivent leurs
vies. En tant qu'acteur, c'est l'endroit où je dois aller pour trouver
les gens que je vais interpréter. Los Angeles n'a pas la même communauté
artistique et n'est pas aussi nourrissante.
Avez-vous remarqué une différence entre les gens avec lesquels
vous travaillez sur scène ou sur des films indépendants et les
gens de Hollywood ?
Les producteurs et tous ceux qui touchent à l'argent sont plus durs.
A Hollywood, ils ne semblent pas avoir le même respect. Tout est question
de dollar. C'est cela la grande différence. Pour les autres personnes,
les réalisateurs, les acteurs, etc, il n'y a pas de différence.
Ils ont peut être plus d'expérience, mais je suis sûr qu'ils
ont tous commencé dans les films indépendants.
Mais c'est peut-être parce que j'ai travaillé avec des gens de
rêve. John Woo, bien qu'il soit considéré comme un réalisateur
hollywoodien, est la personne la moins "hollywoodienne" qui soit.
Il a le sens de la famille, c'est un être adorable qui respecte les acteurs.
Il est très différent de ce qu'on peut imaginer de Hollywood.
Maintenant, je n'ai jamais travaillé avec Michael Bay, mais j'ai l'impression
que la machine Michael Bay - Jerry Bruckheimer est beaucoup plus dure et impersonnelle.
Cela me rend un peu nerveux. Cependant, à moins que la personne soit
absolument horrible quand je la rencontre, ce sera le projet qui décidera
si je fais ou non le film.
Entretien réalisé par Stephen Applebaum