Longtemps cantonnée au seul monde du petit écran, l'image vidéo
revient en force depuis six ans par l'émergence, quand ce n'est pas la
généralisation, des technologies numériques. La haute définition
est aujourd'hui dopée par l'adoption d'un format commun universel pour
le cinéma et la télévision : le Common Image Format (CIF).
Parallèlement la DV se propage avec l'explosion sur le marché
du caméscope de poche grand public, véritable " caméra
stylo " annoncée par le réalisateur Alexandre Astruc dans
les années 1950.
Les enjeux (techniques, économiques, professionnels, esthétiques
et culturels) de la vidéo numérique au sein des grandes fonctions
opératoires de la sphère audiovisuelle sont aujourd'hui considérables.
Jean Segura, journaliste spécialisé dans les techniques audiovisuelles
et les médias numériques dresse un tableau de ce nouveau paysage.
La première partie de ce panorama fait le point sur les tous les aspects
de la fabrication des images et de ce qu'on appelle déjà le "
cinéma numérique ". Une deuxième partie fera état
des avancées dans le domaine de la consommation domestique avant de conclure
sur l'avenir annoncé du numérique.
Produire les images
Au niveau de la production, le tournage en HD numérique au format CIF
(1080 x 1920 lignes, soit 2 millions de pixels) a déjà ses outils
(caméras, magnétoscopes) et de solides références.
La liste des longs-métrages réalisés en HD s'allonge. Les
réalisateurs Pitof avec Vidocq et George Lucas avec Star Wars 2 : L'Attaque
des Clones ont ouvert la voie il y a deux ans et demi en substituant aux classique
caméras 35 mm les caméscopes CineAlta HDW-F900, 24 images/s progressif
haute définition de Sony. Et d'autres marchent déjà dans
leurs traces comme en France Cédric Klapish avec L'Auberge espagnole
en 2002 ou Alain Corneau avec Stupeur et tremblement qui doit sortir prochainement.
Le tournage HD est également impliqué dans des films publicitaires
(Opel, Volvo, Mitsubishi
), musicaux (concert de Robbie Williams à
Cologne) et documentaires (images sous-marines tournées par James Cameron).
Progressivement les industriels mettent sur le marché une nouvelle génération
de caméras professionnelles destinées à la production d'uvres
télévisuelles : tel a été le cas récemment
avec l'un des épisodes de série 7 de Navarro, réalisée
par José Pinheiro pour TF1 avec des caméras HD de Sony. L'industriel
nippon a par ailleurs équipé de ses nouveaux caméscopes
HDW 750 P Zeppelin Television (groupe Endemol) en Espagne.
Depuis plus longtemps encore, la DV permet à un nombre croissant de
cinéastes anonymes ou célèbres, d'Agnès Varda (Les
Glaneurs et la Glaneuse) à Alain Cavalier (René) en passant par
Jean-Marc Barr (Too Much Flesh) ou Lars von Trier (films de Dogma), de réaliser
des uvres d'une facture nouvelle, tournées de façon plus
intime et moins solennelle que par les moyens du cinéma traditionnel.
Les outils de post-production numérique, notamment dans le domaine des
effets spéciaux (animation 3D, compositing, restauration, etc), mais
aussi télécinéma, montage, étalonnage ou report
vidéo sur 35 mm sont compatibles avec le numérique et inscrits
depuis longtemps dans la chaîne de l'image filmique. De grands laboratoires
et prestataires, tel Eclair ou Duboi, équipés de machines appropriées
que manipulent des techniciens et artistes qualifiés, sont capables d'intervenir
sur chacune des grandes étapes qui contribuent à la fabrication
d'un film.
L'aube du cinéma numérique
À l'autre extrémité de cette chaîne, la projection
de films en HD, ce qu'on appelle le " cinéma numérique ",
devient réalité avec la technologie des micro miroirs DLP de Texas
Instruments. Cannes 2002 a offert l'occasion de visionner pour la première
fois plusieurs uvres cinématographiques (Spirit : l'étalon
des plaines des Studios DreamWorks, Russian Ark d'Aleksander Sokurov
)
par le truchement d'un projecteur numérique D-Cine Premiere DP50 installé
par Barco dans l'Auditorium Louis Lumière au Palais des Festivals. En
moins de deux ans, cette technologie, adoptée par plusieurs fabricants
(Barco, Christie), est devenue opérationnelle dans près de 150
salles du monde entier, notamment au moment du lancement de L'Attaque des Clones
au printemps 2002. Des techniques de transmission par satellite sont par ailleurs
en cours d'expérimentation pour assurer à travers des réseaux
de salles (fixes ou itinérantes) la distribution immatérielle
d'uvres audiovisuelles, événements sportifs, concerts, spectacles,
etc.
Un Forum Européen du Cinéma Numérique, initiative dans
laquelle sont impliqués plusieurs pays, se réunit régulièrement
afin de concerter des actions communes tant sur le plan technique et économique
que sur celui de la création de contenus. L'Union européenne appuie
d'ailleurs financièrement le cinéma numérique afin de contribuer
à son réel décollage, tandis qu'une expérimentation
grandeur nature est menée depuis plusieurs mois en Suède à
travers le réseau de salles Folket Hus.
La HD chez soi ?
Qu'en est-il de la télévision domestique en matière de
diffusion et de réception en vidéo haute définition ? Après
la guerre des standards des années 90 (Japon versus Europe) et l'abandon
par les Européens du HD Mac (ex future norme européenne d'HD analogique),
la TVHD s'est définitivement ancrée au pays du Soleil Levant où
la NHK a ouvert la voie il y une douzaine d'années. Aujourd'hui 1,5 millions
de foyers nippons sont équipés de récepteurs HD et 10 000
heures de programmes y ont été diffusés. Mais l'avenir
de la TVHD, tant attendu, semble être maintenant partout liée au
déploiement du numérique. Si sa maîtrise technologique semble
bien acquise au niveau de la diffusion avec le câble, le satellite et
prochainement le hertzien terrestre, la mise au point de récepteurs HD
piétine encore au stade des prototypes industriels. Sauf coup d'accélérateur
technologique (et politique) qui viendrait d'on ne sait où, la HD à
la maison pour tous en Europe n'est donc pas encore pour demain.
Le Home Cinéma dopé par le DVD
Dans le domaine des supports de stockage, le DVD est bien parti pour supplanter,
par sa réussite technologique et son succès économique,
l'antique cassette VHS. Une nouvelle génération, basée
sur la HD, ouvre au DVD de nouvelles perspectives commerciales, notamment au
niveau du Home Cinéma.
Le progrès ne s'arrêtant jamais, se profile déjà
le concept de super haute définition avec un doublement de la HD actuelle.
L'objectif est d'atteindre la résolution des 8 millions de pixels afin
de rivaliser pleinement avec le film 35 mm. Bien entendu, le support argentique
a encore de beaux jours devant lui. L'annonce faite par Kodak de sa nouvelle
pellicule négative 500 tungstène baptisée Vision 2, dédiée
à la prise de vue cinéma, téléfilm et court métrage,
est d'ailleurs un signe de bonne résistance face au numérique.
Conclusion (provisoire ! !)
Mais comme on le voit, le numérique s'insinue peu à peu dans
toutes les niches de l'image et, quand sa supériorité a pu être
démontrée tant sur le plan technique et artistique que sur le
plan économique, il a fini dans presque tous les cas par supplanter les
anciennes méthodes. Il reste encore de nombreux progrès à
accomplir, notamment aux deux extrémités de la chaîne (à
la prise de vue et sur les moyens de visualisation publics et domestiques) Mais
on constate déjà que toutes les options de substitution sont en
marche pour qu'un jour la filière audiovisuelle se passe du séculaire
film argentique et franchisse définitivement le passage intégral
au numérique. Tout est maintenant affaire de prévoir quand et
comment ?
Jean Segura