Cannes s’ennuie à mi-parcours. Il n’y a pas eu encore cette année le film choc qui procure le grand frisson ou la polémique qui réveille la Croisette. Pas de Crash, ni de Dancer in the Dark en vue… Les films sont longs, et les plus attendus peuvent décevoir, comme ce fut le cas pour The Pledge. Après son demi échec américain, Sean Penn était venu chercher à Cannes une seconde chance pour sa carrière européenne. Sauf surprise au palmarès, il ne l’aura pas. La presse a été moins tendre que le public, et les critiques n’ont guère été enthousiasmés par ce faux polar qui cache le portrait d’un homme en quête de rédemption et de nouvelle vie.
Jack Nicholson est resté à Hollywood pour cause de tournage, et c’est maintenant Martin Scorsese qui se décommande et ne présentera pas comme prévu son Voyage dans le cinéma italien.
De quoi refroidir un peu plus une ambiance qui devient morose, voire grincheuse. Dans les projections de presse, les journalistes trépignent, sifflent, claquent les fauteuils, abondonnent le Olmi à mi-parcours ( une erreur, car le Métier des Armes est un film superbe ) ou accueillent dans un silence glacé et tout juste poli le nouveau David Lynch.
Il est clair que nous n’avons pas encore vu une possible Palme d’Or. Seul le nouveau Michael Haneke, La Pianiste, se hausse pour l’instant au dessus du niveau moyen de la compétition, par l’intelligence et l’audace de son sujet, et sa mise en scène brillantissime. On est loin des provocations de Funny Games. Mais son sujet dérangeant peut ne pas se prêter à une décision collégiale au sein du jury de Liv Ullman. Il serait incroyable que la prestation inouie d’Isabelle Huppert, ne soit pas couronnée au minimum par un prix d’interprétation. Ce serait son deuxième depuis celui obtenu par elle avec le Violette Nozières de Claude Chabrol il y a plus de vingt ans. Attendons dimanche…
Pour le reste, les grands noms qui reviennent plaisent tous, mais sans plus . Bien sûr, les Coen ont fignolé un nouveau bijou d’intelligence et de beauté avec The man vho wasn’t there. Bien sûr, le Lynch, Mulholland Drive est un exercice de style fascinant et sensuel. Olmi, Oliveira, Godard, n’ont pas non plus surpris. Couronner Godard aujourd’hui, pour un film qui est loin d’être son meilleur ? Ce serait plus un hommage à une œuvre qu’à un titre précis.
Ce défilé des aînés qui reviennent dans l’arène pour un nouveau tour de piste finit par faire ressembler le cru 2001 à une dégustation de bonnes bouteilles que tout le monde à déjà goûtées, et dans de meilleurs millésimes.
Dans ce contexte, on a du mal à comprendre l’absence du Jean Pierre Jeunet, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, qui aurait eu le mérite de faire bouger la sélection, de provoquer un débat, et d’agiter Cannes, ce qui est ici indispensable.
Le nouveau Rivette, Va Savoir, est un délice absolu : acteurs, texte, mise en scène légère et pirandellienne, tout est réglé pour un bonheur du cœur, des sens et de l’esprit. Et l’on n’est pas prêt d’oublier le ballet amoureux dansé par Balibar, Basler, Fougerolles, et leurs soupirants. Il est à craindre pourtant que cette délicate musique de chambre ne soit pas la symphonie qu’affectionne le Festival.
S’il faut chercher des chocs et des noms possibles pour le palmarès, on risque alors de les trouver dans la dernière ligne droite avec le fameux crescendo cher à Gilles Jacob : Moretti, bien sûr, va déclencher des torrents d’émotion. Viendra ensuite le dernier français, Dupeyron avec sa Chambre des Officiers. Elle pourrait être la surprise de la sélection. A moins que ce ne soit le Millennium Mambo de Hou Hsiao Hsien ?
Espérons. Car ce Cannes, tellement policé, tellement calme, tellement sous contrôle, frôle la lassitude, le déjà vu, le politiquement correct.
Pas de place pour la moindre déviation, ni dans les fêtes, ni sur les écrans. Tout le monde rit encore de la coupure de courant qui a privé le Noga Hilton de la conférence de presse sur les Hot d’Or, la manifestation qui gêne Cannes et qui voudrait bien pourtant fêter ses dix ans. Les actrices de X sont bien là, même s’il n’y a pas cette année de nouvelle affaire Baise moi, mais plutôt un document sur le monde du porno qui a fait fureur au Marché ( réalisé par Francis Leroi ) et qui s’appelle Focus.
Le Palais lui-même a déjà fait sauter les plombs l’autre jour, interrompant toute activité pendant plus d’une heure. On voudrait bien que le courant revienne, et qu’une bonne décharge d’électricité achève 2001 dans l’euphorie. Sinon, le nouveau sélectionneur Thierry Frémaux se verra reprocher sa timidité…Au jury maintenant d’être intelligent et d’accoucher d’un palmarès audacieux. On en reparle en fin de semaine.
Michel Pascal