Bien qu'il soit
né au Canada, Richard Williams fait partie des grands noms de l'animation
britannique, aux côtés de George Dunning, Bob Godfrey, Nick Park
et Gerry Anderson. Protégé de Dunning (Yellow Submarine)
et de Chuck Jones (animateur de Bugs Bunny, Porky Pig et Daffy Duck), Richard
Williams, qui se dépeint volontiers comme un dessinateur réaliste,
est assuré de passer à la postérité pour son travail
totalement "cartoonesque" sur Qui Veut la Peau de Roger Rabbit?
Une réalisation dont il ne garde pas que des bons souvenirs: "Bob
Zemeckis n'arrêtait pas de me dire d'aller plus vite, il voulait du Tex
Avery. Mais parfois, ça va encore plus vite que Tex Avery!" Rencontre
avec un adepte de la lenteur oscarisé en 1972 et 1989.
En parcourant
votre bio, on apprend que vous avez commencé à tâter de
l'animation dès l'âge de 12 ans...
Oh, non, bien avant!
Dès l'âge de 5 ans. J'ai vu Blanche Neige et les Sept Nains
quand j'avais 5 ans. Ma mère était illustratrice, donc je savais
que ce qui passait à l'écran était dessiné. Les
autres gamins pensaient que tout était réel (rires), mais moi
je savais que c'était du dessin! Et donc, je me suis amusé à
reproduire les dessins des films d'animation que je voyais jusqu'à l'âge
de 15 ans environ.
L'animation
étant un art doublé d'une technique, quand avez vous commencé
à assimiler la partie technique?
Oh, très
tôt vraiment. Dès l'âge de 6 ans.
A quoi ressemblaient
vos premières oeuvres?
Oh, je me souviens,
à l'école, quand j'avais 12/13 ans, mon professeur de sciences
naturelles photographiait les oiseaux, et il me laissait faire des animations
avec ses photos. Et je me rappelle que nous filmions cela en 8 mm. J' perdu
ces bandes aujourd'hui, mais ça marchait, ça marchait! (rires)
Seulement, par la suite, je dois dire que je me suis désintéressé
de l'animation. Dès que j'ai vu les peintures de Rembrandt (rires), je
n'ai plus voulu faire du dessin animé! Et je suis effectivement devenu
peintre... Mais plus tard, je me suis dit: "Hé, attends une minute...
Le dessin animé, c'est quand même des personnages qui bougent et
qui parlent, ça n'est quand même pas sans intérêt...
Tu n'es pas obligé de les faire ressembler à Donald Duck! Tu peux
les dessiner comme tu veux..." Et donc j'ai commencé à m'y
remettre, petit à petit, pour voir, et finalement j'ai continué
et gagné des prix...
Qu'avez vous
appris auprès de George Dunning? (réalisateur de Yellow Submarine)
Eh bien, à
16 ans, je dessinais des films d'animation publicitaires, et c'est lui qui les
produisait. Un jour, je l'ai rencontré, et il m'a montré des films
expérimentaux qu'il avait réalisés au Film Board, des peintures
sur verre, des trucs figuratifs avec des boules, des carrés... Cela m'a
ouvert les yeux. L'animation, ce n'est pas qu'Hollywood, Roger Rabbit...
Je suis donc devenu l'ami de George Dunning, et par la suite je l'ai toujours
encouragé à ne pas se cantonner dans l'animation commerciale,
à faire ses propres trucs, comme The Flying Man et Damon the
Mower.
Parlons maintenant
de Roger Rabbit (Oscar 1989). Ce film a dû être une expérience
stressante pour vous. Je me rappelle que vous disiez: "Je n'aime pas la
vitesse en dessin animé. Je préfère la lenteur..."
C'est tout à
fait vrai! Et pendant tout le tournage, j'ai dû me battre avec Bob Zemeckis
qui n'arrêtait pas de me dire: "Plus vite, Dick! Il faut du Tex Avery!"
Ce à quoi je répondais: "D'accord, mais là, ça
va encore plus vite que Tex Avery!" (rires) Et il renchérissait:
"Non, non, les gens sont habitués à des images qui vont vite!
Ils regardent des spots de pub, ils baignent dans l'information, ils sont tous
éduqués à l'image!" Et moi je lui répondais:
"Education, mon c...!" (il grogne pour manifester la poursuite de
la dispute) Et j'ajoutais: "De toute façon, je veux aller plus lentement!"
Et lui me répondait: "Tu te fais vieux, Dick! Accélère!"
Mais nous avons fini par trouver un terrain d'entente. Mais le bougre ne se
privait pas de remonter ce que je faisais pour que ça aille encore plus
vite! Des fois, ça va tellement vite qu'on ne peut même plus dire
si Roger Rabbit est un lapin! (rires) Voilà pourquoi j'ai placé
une séquence dialoguée au début du film, pour qu'on voit
à quoi il ressemble avant qu'il ne se transforme en fusée ou en
chewing gum! (rires)
En Angleterre,
vous avez réalisé The Little Island, qui est considéré
comme un classique de l'animation symboliste. Avez-vous fait ce film en réaction
au style hollywoodien?
Eh bien, Disney,
c'est du divertissement, non? Et plutôt de qualité. Disney a fait
des choses merveilleuses que personne d'autre n'a fait. C'est comme Wagner:
après son passage, tout le monde a cherché à lutter contre
son influence! (rires) C'est quelque chose de tout à fait naturel. Mais
on ne peut enlever à Disney toutes ses formidables réussites.
En faisant The Little Island, je me suis rendu compte que je ne savais
pas développer une animation aussi forte que celle de Disney. Alors,
j'ai étudié leur façon de faire d'un peu plus près,
non le style, l'histoire ou les couleurs, mais cette sorte d'autorité
naturelle avec laquelle ils articulent tout ça. Et finalement, j'ai beaucoup
appris en écoutant certains vétérans de Disney, comme Art
Babbitt. J'ai même l'impression que maintenant je pourrais faire La
Petite Ile devenue grande! (rires)
Pourtant, vous
avez su complètement changer de style après The Little Island.
Le style d'Un Chant de Noël (oscar du meilleur court métrage
d'animation 1972) est beaucoup plus réaliste...
Oui, mais ce n'était
pas totalement intentionnel de ma part! C'est Chuck Jones qui m'a embauché
pour ce film. Il travaillait alors comme conseiller de programmes sur la chaîne
de télévision ABC, et il m'a dit: "Nous avons fait La
Charge de la Brigade Légère dans le style 1850, Illustrated
London News... J'aimerais te confier un film d'une demi-heure dans le même
style..." Moi, j'ai dit: "Mon dieu, on ne va jamais finir comme ça!
Ne peut-on pas dessiner cette période d'une manière un peu plus
réaliste?" Le fait est que je suis bel et bien un dessinateur réaliste...
Et finalement, Chuck m'a dit: "OK, vas-y!". Et c'est ainsi que nous
avons réalisé Un Chant de Noël. De fait, dans ma carrière,
j'ai toujours fait des allers retours entre l'abstraction et le réalisme.
J'ai vraiment l'impression d'être une prostituée... (rires) Si
ça n'avait tenu qu'à moi, je n'aurais pas fait Roger Rabbit.
En fait, c'est Chuck Jones qui m'a convaincu de le faire. C'est même lui
qui m'avait recommandé auprès de la production. Alors, il m'a
parlé des heures au téléphone en me disant: "Tu serais
vraiment idiot de refuser. Fais-le, tu ne le regretteras pas, je te dis!"
Et j'ai fini par me laisser embobiner! (rires) Au départ, je pensais
que Roger Rabbit n'était pas une bonne idée. Je n'aimais
pas beaucoup le mélange d'animation et de prises de vues réelles,
comme dans Mary Poppins. Je trouvais que tout ça ressemblait trop
à des peintures sur verre. Puis je me suis dit que si vraiment on pouvait
arriver à un habile mélange des deux, et que la caméra
pouvait tourner autour de l'animation comme si de rien n'était, alors
ce serait très intéressant. Finalement, ILM a pu marier les deux
univers, et ça marche vraiment bien.
Il semble qu'à
un moment de votre carrière vous ayez senti le besoin de partager avec
d'autres tout ce que vous aviez appris. Pourquoi?
J'ai toujours été
comme ça, en fait. Je veux dire, tout le monde a toujours été
sympa avec moi. J'ai eu des professeurs d'art merveilleux, ma mère m'a
aidé, mon grand père m'a aidé, alors quand j'ai commencé
à me débrouiller dans ma profession, j'ai eu envie de partager
ce que j'avais appris. Quand Art Babbitt donnait une conférence quelque
part, j'invitais aussitôt tous mes concurrents à venir l'écouter,
pour qu'ensuite nous travaillions tous encore mieux! (rires) Je me ne suis jamais
senti menacé par le talent des autres. Je crois que je suis très
égocentrique, en fait. Ce qui pourrait paraître contradictoire...
Que trouve t-on
au menu des master class que vous donnez, comme au Festival d'Annecy l'an dernier?
On trouve au menu
des cours sur l'anatomie de l'animation. D'abord, l'alphabet de l'animation,
puis les mots, puis les phrases, puis les paragraphes, puis les chapitres...
ensuite, on est capable de faire ses propres histoires. Comme je me plais à
le répéter: aucun animateur ne devrait être obligé
de réinventer la roue! Les génies de Disney ont tout mis en place
dès 1940. Ils ont parfaitement développé ce médium.
Cela ne veut pas dire qu'il faut faire de l'animation dans le style de Disney,
mais qu'il existe une tradition et des génies dont on peut apprendre
beaucoup de choses avant de se lancer dans sa propre voie. C'est comme Marcel
Marceau: où a t-il appris ce qu'il sait? Eh bien, il le tient d'une lignée
de grands maîtres de la pantomime. C'est la même chose pour moi;
j'ai appris de ceux que je considère être des grands maîtres
de l'animation. Alors je montre tout ce que je sais, les systèmes, les
techniques, les compositions de plans, les types de dessins,... Et je dis à
tout le monde: "Vous pouvez faire ce que vous voulez, mais moi je vous
montre d'abord comment faisaient les grands maîtres". Moi, j'ai assimilé
tout ça depuis longtemps et j'en ai fait un système que je sais
être béton. Et je donne tout ça en seulement trois jours!
(rires)
Que pensez vous
de l'animation japonaise en général?
C'est très,
très intéressant. Difficile de répondre simplement à
cette question. Premièrement, elle est très intéressante,
parce qu'elle n'est ni américaine, ni européenne, elle véhicule
une sensibilité purement japonaise. Leur animation n'a rien à
voir avec la nôtre, et ils n'ont aucune envie de nous imiter. C'est en
partie pour des raisons économiques, je crois, mais aussi pour des raisons
culturelles. L'animation américaine, par exemple, est née de la
tradition de la pantomime et elle a le timing du jazz, mais pas l'animation
japonaise, elle est plus formaliste, elle s'inspire plutôt des planches
de Hokusai et d'Utamaro. Les animateurs occidentaux recherchent une forme d'adhésion
immédiate, par le rythme, le mouvement. Mais pas les japonais. Je pense
personnellement que je me situe quelque part entre ces deux mouvements.
Robin
Gatto