Bref résumé des évènements: c'est âgé
de 26 ans à peine que le jeune californien Richard Kelly, après
des mois de purgatoire productionnel, réalise son premier long métrage,
Donnie Darko, qualifié selon ses propres dires de mix entre le film d'époque,
d'éducation, de science fiction, le thriller hitchcokien, le film de
fantômes et la satire sur la fin de l'ère Reagan... Après
un passage très remarqué au festival de Sundance 2001, le film
se perd dans les dédales de la distribution et ne connaît pas les
gloires du box office hollywoodien. Seulement voilà, la sortie française
du film, et les projections dans les festivals de Gérardmer et Rotterdam
nous permettent enfin de découvrir l'OVNI filmique de ce nouveau petit
prodige du cinéma américain...
Manifestement, vous avez une dent contre les années 80. Donnie
Darko égratigne durement l'ère Reagan...
(Rires) Donnie Darko est effectivement une dénonciation satyrique de
ces années-là, je vous l'accorde. C'est un film sur une période
d'abus, de complaisance, et sur le prix que nous avons du payer après
ça. Je crois qu'à la fin de chaque décennie, il y a comme
un moment de pause, de réflexion, face aux inquiétudes de la décennie
suivante. C'est comme un lendemain de fête, un arrêt dans le temps.
Mais je crois aussi que j'ai quand même fait un film assez nostalgique,
parce que j'ai grandi dans les années 80, et c'est une période
que je connais bien.
Vous êtes fasciné par Une Brève Histoire du Temps
de Stephen Hawking?
Oui, j'ai lu ce livre en 1988, et je n'y ai rien compris. D'ailleurs, je n'y
comprends toujours rien! (Rires) Mais je crois que c'est un livre très
important. Stephen Hawking possède un esprit qui a des années
lumière d'avance sur la plupart d'entre nous. Il est cloué sur
une chaise roulante, mais il a cet esprit intense qui lui permet d'essayer de
déchiffrer les mystères de l'univers. Je pense que c'est une personne
très importante, j'ai de l'admiration pour son travail, et je me suis
presque senti obligé d'en parler dans mon film.
A-t-il été difficile de trouver des financements pour un film
aussi satyrique?
Je pense que d'une manière générale l'Amérique
aime se moquer d'elle-même - du moins, certains américains! (Rires)
Le scénario a été très bien accueilli dans certains
cercles hollywoodiens. Mais je refusais de le vendre à moins de réaliser
moi-même le film. Et finalement, le scénario a atterri dans les
mains de Drew Barrymore et Nancy Juvonen, qui l'ont adoré. Et quand elles
ont accepté d'être impliquées dans le film, cela m'a en
quelque sorte donné du crédit en tant que réalisateur,
bien que je n'eus réalisé aucun long-métrage. De fait,
je suis très reconnaissant envers Drew, Nancy et Sean McKittrick, mon
premier associé, de m'avoir soutenu tout au long des moments difficiles
et d'avoir fait décoller ce projet.
Comment vous est venue l'idée de Donnie Darko?
Très simplement. J'ai imaginé ce moteur d'avion tombant dans
la chambre d'un adolescent. J'ai en fait associé deux idées venant
de faits divers: l'un sur un morceau de glace qui était tombé
d'un avion dans la chambre d'un gamin en Virginie, et l'autre sur la chute d'un
moteur d'avion. Et j'ai donc imaginé que le réacteur d'avion tomberait
dans la chambre de quelqu'un, mais qu'on ne trouverait pas trace de l'avion.
Il y aurait donc un mystère, une grande énigme autour de ça,
et je me suis dit que je tenais là une excellente idée de scénario.
Et en fait - attention, je vais révéler la clé de l'énigme
- le réacteur de l'avion vient d'un portail temporel, il vient du futur,
à cause d'une rupture d'un continuum espace-temps. Et Donnie est en fait
contacté par une sorte de messager pour rétablir le continuum
espace temps. C'est en fait un véritable piège pour lui, il est
obligé de le faire. En échange, il reçoit des pouvoirs
paranormaux qui lui permettent de sauver le monde. Et pendant le "voyage"
de Donnie, on assiste à cette satyre absurde et effrayante, ce disfonctionnement
de la banlieue américaine.
Pour le costume du messager, avez vous acheté un costume existant
ou créé un costume original?
Nous avons créé le masque de toutes pièces. Nous avons
fait des modèles en 3D à l'ordinateur, puis nous avons donné
les modélisations à un sculpteur du nom de Dale Brady, puis la
responsable des costumes April Ferry s'est chargée de tout assembler,
et nous avons fait peindre le masque en argenté. Nous avons été
assez inspirés par les masques des scènes d'orgie d'Eyes Wide
Shut. Je pensais qu'ils étaient à la fois très beaux
et effrayants, et nous voulions atteindre ce même niveau d'inspiration
artistique pour le masque de Donnie Darko. Au début, tout le monde
était assez incrédule et me demandait: "Mais pourquoi veux-tu
faire une sorte de masque de lapin? Qu'est ce qu'un lapin a à voir dans
cette histoire?" Mais moi je voulais une sorte de masque de lapin effrayant
et April Ferry et Alec Hammond ont contribué leurs idées dans
ce sens.
Pour vous, qui est Donnie Darko?
Donnie Darko est un anti-héros, un adolescent aliéné,
talentueux mais mal dans sa peau. Il sent qu'il y a quelque chose qui cloche
dans le monde, sans parvenir à mettre le doigt dessus. C'est un personnage
auquel je tenais à ce que les adolescents s'identifient. Je voulais qu'il
représente de manière crédible les adolescents mais aussi
toutes les personnes qui peuvent ressentir étant jeunes un sentiment
d'aliénation.
Votre père a conçu le premier robot caméra ayant effectué
des photos panoramiques 360° de la surface de Mars. Vous même vous
semblez très à l'aise avec la caméra, vous en jouez beaucoup
dans le film. Vous avez semble t-il hérité d'un don spécifique...
J'adore la caméra, tout les aspects visuels du cinéma. Il faut
dire que j'ai un background essentiellement visuel, j'ai été illustrateur
et dessinateur avant de prendre une caméra. J'ai d'ailleurs fait la plupart
des dessins de préproduction de Donnie Darko. Même s'il
est amusant de faire de l'épate avec une caméra, mais j'essaie
toujours de mettre les mouvements et les trucs visuels - accélération
de l'image, retournés acrobatiques de la caméra, mouvements de
steadycam - au service de l'histoire. Et si je deviens trop crâneur avec
la caméra, il faudra que je me punisse et que je m'oblige à tourner
quelque chose de parfaitement horrible en vidéo! (Rires) Donnie Darko
est un film très stylisé mais nous avons fait très attention
de ne pas noyer le film dans le style, mais au contraire que le style soit toujours
au service des personnages et de l'histoire.
Comment s'est passée la distribution du film aux Etats Unis?
Les distributeurs étaient totalement déroutés par le film,
d'autant plus que les réactions du public à Sundance étaient
extrèmement divisées, certains aimaient passionnément le
film, d'autres le détestaient. Donc les distributeurs ne savaient pas
trop quoi faire, et d'ailleurs ils me l'ont bien dit: "Ecoute, on ne sait
pas trop quoi faire avec ton film, c'est trop bizarre, trop inhabituel pour
nous. On ne sait pas comment le vendre". Il a fallu 4 mois pour trouver
un distributeur, et finalement on a eu droit à une sortie très
limitée, dans un circuit de 8 salles d'art et d'essai. Mais je suis content
qu'il ait au moins pu sortir en salle, s'il avait directement été
diffusé sur le câble, je crois que j'aurais été totalement
découragé et que je n'aurais pas trouvé la force de me
battre pour un nouveau projet.
Propos recueillis à Gérardmer par Robin Gatto &
Yannis Polinacci