Taurus est le deuxième
volet d'une trilogie programmée sur les Hommes de Pouvoir du XXième
siècle. Après Moloch, qui disséquait une journée
dans la vie amoureuse d'Hitler et Eva Braun, Sokourov s'attaque sans pudeur
aucune à la lente décrépitude de Lénine dans les
derniers mois de sa vie. Atteint de paralysie, Lénine voit le pouvoir
lui échapper et tomber dans les mains d'un certain Staline. Une époque
s'achève, une autre lui succède et ne tardera pas empirer elle
aussi... Pour Sokourov, "les dictateurs sont des concentrés d'humanité,
des qualités et défauts humains". Rencontre avec un ambitieux
chirurgien de l'humanité.
Taurus
est le deuxième opus d'une trilogie consacrée aux hommes de pouvoir
après Moloch qui abordait la relation Hitler/Eva Braun. Quel message
vouliez-vous faire passer dans celui-ci?
L'idée principale
était de montrer la priorité des sentiments humains, des ambitions
humaines sur tout le reste. Tout commence par le caractère, les qualités
de l'être humain et tout finit par là. Les buts idéalistes
n'existent pas, la politique n'existe pas, il y a seulement les ambitions de
l'être humain, et tout est défini par cela. Quand on se pose des
questions sur la grande histoire, les réponses se portent toujours sur
les caractères des personnes qui ont participé aux événements.
Dans ce sens, je ne crois pas à la mystique, je crois seulement à
l'importance et à la force du caractère humain.
Taurus
est aussi un film qui parle de la relation très particulière que
le peuple russe a toujours entretenue avec le pouvoir...
Oui, c'est vrai.
Le peuple russe a tendance à quérir l'amour du pouvoir, il veut
être aimé du pouvoir, mais il veut aussi l'aimer. Mais le résultat
est pitoyable et nous le connaissons bien.
Le film montre
aussi comment Lenin à la fin de sa vie n'est plus du tout un leader qui
en impose. Son entourage, par exemple, le traite avec une certaine rudesse...
C'est l'habitude
des gens qui ont l'habitude d'être esclaves, et qui, par conséquent,
n'ont plus de respect pour eux-mêmes. Les esclaves deviennent familiers
avec le maître, et parce qu'ils s'habituent à leur place d'esclave,
ils n'ont plus la notion du respect ni du danger.
Que vous apportent
sur un plan personnel des films tels que Moloch et Taurus?
Personnellement,
cela m'apporte de la tristesse, cela m'afflige de devoir descendre dans un monde
où il y autant d'ombres et de malheurs. Ce n'est pas plaisant. Mais je
pense que c'est la même chose pour un chirurgien. Certes, cela lui fait
plaisir de recevoir des roses après ses interventions, mais ce n'est
pas l'odeur des roses qui accompagne son travail! Je pense que dans l'art, c'est
parfois pareil. Le travail dans l'art est une routine qui n'est pas forcément
intéressante à montrer. Il y a énormément de questions
techniques, financières, sociales...
Tirez-vous une
satisfaction personnelle du fait d'humaniser des personnages qui ont connu une
déchéance historique terrible?
Oui, bien sûr.
Ceux qu'on appelle les dictateurs sont même plus humains que les autres,
ils sont des concentrés d'humanité, des qualités et défauts
humains. Mais peut-être que si quelqu'un s'était chargé
de leur faire suivre un traitement, ces événements qu'on connaît
ne se seraient jamais produits. Mais pour une raison X ou Y, leur destin a été
différent et leur a permis de faire ce qu'ils ont fait. Pourquoi? On
ne le sait pas...
Robin
Gatto