" Le personnage de Mark Whalberg lorsqu'il atterrit sur la Planète
des Singes arrive dans un milieu hostile qu'il veut fuir à tout prix
mais qu'il est obligé de prendre en charge. Je me suis senti dans la
même situation en faisant ce film. " A 42 ans, le wonder boy terrible
du cinéma américain Tim Burton relève un de ses plus grands
défis : revisiter un classique de la SF que lui-même adore : La
Planète des Singes de Franklin Schaffner. Même échaudé
par les expériences des deux Batman et de Mars Attacks,
il a accepté de relever le défi. Le résultat est sur les
écrans français cette semaine.
Comment était-ce de travailler avec la star du film original, Charlton Heston?
C'était un grand moment. Tout le mythe de la Planète des Singes lui
doit tellement. Rien que d'entendre sa voix... il y a peu de voix qui m'excitent
à ce point.
Vous vous êtes déjà intéressés à des mythes de la culture moderne auparavant,
mais diriger un tel projet, cela implique une pression supplémentaire.
Exactement. J'ai déjà été confronté à cela avec Batman mais Batman
n'avait jamais été adapté dans un film aussi emblématique que La Planète
des Singes. C'est intimidant, même s'il ne s'agit pas d'un remake : j'ai
senti que ce serait bien de faire une version différente. Ce qui est drôle,
c'est que j'ai grandi avec le film. Je suis un fan et même aujourd'hui, je ne
sais toujours pas ce que les gens attendent de ce nouveau film, j'ai donc essayé
d'être fidèle à l'esprit du premier. Par exemple, nous avons changé l'histoire
et les personnages mais nous avons tenu à garder des acteurs pour jouer les
singes. C'était crucial de conserver ce parti pris pour l'esprit du film. Même
quand j'avais dix ans et que je ne connaissais rien aux films, je trouvais cela
excitant de savoir que c'était des acteurs, il y avait quelque chose d'étrange
dans le fait que des humains jouent des singes.
Aviez-vous pensé créer les singes par ordinateur ?
Il en a été question, mais non, je n'aurais pas pu faire cela.
Est-ce que les personnes qui n'ont jamais vu le film original seront touchés
par celui-ci ?
Je ne sais pas. Nous avons essayé de reprendre certains symboles dans des contextes
différents. Par exemple, nous avons tourné quelques scènes au Lac Powell où
le premier film a été tourné. Mais nous avons utilisé ce décor différemment.
On n'a pas nécessairement besoin d'avoir vu l'original.
Il y a beaucoup d'images de singes intéressantes dans le film, particulièrement
l'armée de singes qui m'a rappelé la scène des singes volant dans Le Magicien
d'Oz.
Les singes me terrifient de toute façon. On en a discuté avec notre équipe
qui gérait les mouvements. Ce plan du Magicien d'Oz est un plan très
fort. En général, on pense que les singes sont mignons. Certains les veulent
même comme animaux domestiques. Plutôt avoir un psychopathe à la maison ! Ils
sont comme ça, ils peuvent devenir fous.
Pourquoi faire un film qui s'appelle La Planète des Singes alors
?
Eh bien, il est quand même bon de faire face à ses phobies de
temps en temps. Cela donne un coup de fouet très bénéfique.
Au travers du personnage de Tim Roth, j'ai vraiment montré les chimpanzés
tels que je les perçois. Sur le plateau, Tim me terrifiait!
Le port des costumes a du être très pénible pour les
acteurs. Se sont-ils jamais plaints pendant le tournage?
Vous savez, sur un plateau de tournage, il fait toujours trop chaud ou trop
froid. Je n'ai jamais été sur un plateau où l'on puisse
dire: "Ah, il fait bon, ici". Donc, pendant que les singes fondaient
sous l'effet de la chaleur, les humains se mouraient de froid. Et ça,
pratiquement tous les jours.
Quand on réalise des scènes d'action d'une envergure pareille
à celles de Planète des Singes, comment travaille t-on
avec les acteurs pour qu'ils ne se sentent pas trop comme de simples éléments
du décor?
Ce n'est pas du tout comme ça que je les vois, en tout cas. Une partie
de ma joie de réalisateur vient de voir jouer les acteurs. Cela me réjouit
et m'excite vraiment beaucoup. Je sais quelle torture a représenté
pour eux le tournage de Planète des Singes. Se lever à
deux heures du matin et porter un canal dentaire pendant toute une journée
de travail n'a rien de très glamour. Je suis en tout cas très
reconnaissant pour tout ce qu'ils ont fait.
La musique de vos films est toujours magnifique. Qu'avez-vous pensé
de celle de Planète des Singes?
J'aime ce qu'a composé Danny Elfman, il a fait un excellent travail,
quelque chose de vraiment étrange. J'aime l'énergie bizarre qui
se dégage de sa partition. Sa musique est importante, elle est comme
un personnage à part entière du film. Elle donne dès le
début le ton du film.
Etes-vous diplômé d'une école d'art?
Non. J'ai abandonné mes études d'art avant de l'être, ce
qui n'est peut-être pas plus mal.
On dit souvent que la plupart des diplômés d'écoles
d'art ont abandonné les arts traditionnels pour faire du cinéma
ou des choses sur l'Internet...
L'arrivée de l'Internet a vraiment représenté une nouvelle
mine d'or pour beaucoup de gens. C'est très intéressant d'assister
à de tels phénomènes de son vivant. Et il est vrai que
les formes d'art traditionnelles se font progressivement dévorer. Je
me rappelle très bien de L'Etrange Noël de Monsieur Jack,
il a fallu que je me batte pendant des années pour pouvoir le réaliser
en animation "stop-motion". Même si l'animation par ordinateur
est très bien, je pensais qu'elle ne convenait pas pour ce film. Et finalement,
L'Etrange Noël de Monsieur Jack est vraiment l'un des derniers exemples
d'animation traditionnelle, puisqu'aujourd'hui la plupart des animateurs de
stop-motion sont passés aux ordinateurs. Ils continuent d'y exercer leur
art avec talent, mais les textures, les formes qu'ils proposent ne me paraîssent
plus aussi pures qu'avant.
Certains de vos films sont de nature commerciale, d'autres plus personnels.
Pensez-vous en ces termes lorsque vous réalisez un nouveau film?
J'y pense, car étant donné que je n'ai pas fait d'école
de cinéma, j'ai l'habitude de ne compter que sur moi-même. Je ne
me sens pas assez équipé intellectuellement pour faire des trucs
du genre pseudo-intello. Soit j'adhère à un projet parce que je
le ressens bien, soit je n'y adhère pas, c'est aussi simple que ça
pour moi. Tout ce débat autour de l'auteur contre les studios ne m'atteind
pas vraiment. Tous mes films sont personnels à une plus ou moins grande
échelle.
Est-il important à vos yeux que vos films soient des succès
financiers?
Eh bien, je ne suis pas idiot, je sais que mes films représentent des
investissements financiers importants et qu'il ne faut pas jeter l'argent par
les fenêtres. Mais tous les films que j'ai faits dans ma carrière
auraient très bien pu être soit des succès, soit des échecs.
C'est en tout cas ce que je pense.
D'où proviennent vos principales influences?
De tout. J'essaie de garder les yeux grands ouverts sur la vie. J'aime voyager.
J'aime aussi passer des heures à regarder les choses. Je me souviens
qu'un jour j'ai eu une pneumonie, j'étais dans une sorte d'état
hallucinatoire et j'ai regardé fixement une poignée de porte pendant
deux heures. Il est important de rester ouvert à tout, et de pouvoir
voir les choses sous des angles nouveaux et différents.
Lynn Barker
Correspondante à Los Angeles de Filmfestivals.com
Traduction : Robin Gatto & Yannis Polinacci