Qui pourrait oublier l'inoubliable ? Dans la " Zazerie " Hot Shots,
Valeria Golino se livrait à une délirante parodie amoureuse de
9 Semaines 1/2 en compagnie de Charlie Sheen. Son encastrement dans le
matelas d'un lit est resté dans toutes les mémoires de cinéphiles.
Tout comme sa scène de baiser dans un ascenseur avec Dustin Hoffman dans
Rain Man. Mais résumer Valeria Golino à ces deux seules
scènes ne serait pas rendre justice au talent de cette actrice incroyablement
découvreuse et gourmande de rôles et de styles, qui se définit
elle-même comme une " incurable bohémienne ". Elle nous
revient plus belle et lumineuse que jamais dans Respiro du jeune réalisateur
Emmanuele Crialese, sélectionné à la Semaine de la Critique
de Cannes 2002.

Vous avez grandi entre Naples, Rome et Athènes. Quelle relation entretenez-vous
aujourd'hui avec la culture, l'univers, la féminité, l'esprit
de communauté méditerranéens, un univers d'ailleurs représenté
dans votre dernier film, Respiro ?

(Sourire) Etre dans le sud de la Sicile, à Lampeduse, pour Respiro,
c'était comme être à la maison. Je suis moitié Grecque,
moitié Italienne. Le sud est la place où je ressens le plus de
bien-être, qui m'est le plus familière, avec toutes ses belles
et mauvaises choses. Je connais les traditions du Sud, de l'Italie, de la Grèce,
de l'Espagne, avec les restrictions sur les femmes. Il y en a beaucoup moins
maintenant, cependant. Cela fait aussi partie de mes traditions à moi,
même si je comprends bien qu'il est préférable d'évoluer.
En même temps, je ne suis pas choquée par ça comme quelqu'un
qui n'est pas du Sud.

Si vous deviez dire quelles sont ces belles et mauvaises choses du Sud ?

Souvent les mêmes choses ! (Rires) J'aime en fait la chaleur des émotions
contenues dans les lois et les traditions du Sud, la chaleur des endroits. L'isolement
de certains endroits les rend souvent fascinants et beaux, mais aussi très
pernicieux pour les femmes qui ont un esprit plus moderne.

Un des problèmes relevés par le film est la séparation
de fait entre les hommes et les femmes, la difficulté de communiquer
sereinement…

Oui, c'est vrai, il y a un manque certain de communication, mais peut-être
pas plus que dans les grandes villes, dans la foule, entre les couples…
Mais dans le film, on ressent quand même un immense amour entre cette
femme que j'interprète et son mari, et vice versa… mais puisqu'on
parle du Sud, je crois que ce film, cette histoire pourrait aussi se dérouler
dans le nord, en Irlande par exemple. Ca ne concerne pas uniquement l'Italie,
c'est empreint d'une dimension complètement universelle. Aussi, le film
n'englobe pas toute la Sicile telle qu'elle est aujourd'hui. C'est un film un
peu intemporel, ou suspendu dans le temps. Le vrai Naplouse est beaucoup plus
contaminé par les us et coutumes modernes, consuméristes, la télé
que dans le film… Mais Emmanuel ne voulais pas faire un film sociologique.

Comment avez-vous rencontré le réalisateur Emmanuel Crialese
?

D'une manière très traditionnelle. Le producteur Domenico Procacci,
avec lequel j'avais déjà travaillé, est venu me voir. Il
m'a donné le scénario et m'a dit : " Si ça te plaît,
peut-être voudras-tu travailler avec Emmanuel ". J'ai donc lu le
scénario, j'ai aussi vu le premier film d'Emmanuel qui est délicieusement
beau, et après je l'ai rencontré. J'avais déjà une
idée de l'imagination qu'il avait, et je lui ai dit 'oui' tout de suite,
même si je savais que le film ne devait se faire que dix mois plus tard.
D'habitude je ne dis pas oui autant de temps avant. Mais là, j'ai dit
oui, je voulais faire ce film, il m'emplissait déjà d'ondes très
positives.

Cependant le sujet est un peu dur, sombre parfois …

C'est pour cela aussi que je l'aime. C'est un film qui évite tous les
pièges et les clichés de ce genre de films. J'aimais par exemple
la façon dont Emmanuel décrivait la violence de l'enfance et de
l'adolescence. J'aimais sa manière de représenter mon personnage,
qui aurait pu tomber dans le cliché de la femme un peu folle, provocatrice,
rebelle. Mais elle n'était pas du tout ça. Elle était au
contraire très douce, enchantée par la vie. A cause de la répression
sexuelle en vigueur dans cet univers, les femmes qui se rebellent le font souvent
à travers de d'une sexualité très agressive. Mais elle
n'est pas comme ça, elle est très enfantine et instinctive. J'aimais
beaucoup ça. J'aimais aussi le personnage de l'homme, qui est très
masculin, très fort, mais qui dégage aussi une vraie douceur.
Il n'est pas l'archétype du macho latin. Et mon partenaire, Vincenzo
Amato, a très bien su interpréter ce personnage. Bien sûr,
lui et sa femme se disputent, et il lui arrive d'être violent avec elle,
de la saisir par les cheveux, de la traîner, mais elle comprend pourquoi
il fait ça, même si elle ne l'approuve pas. Aucun élément
de ce film ne relève de la pure provocation, tout est toujours inscrit
dans un univers précis, une atmosphère particulière. Les
rapports entre la mère et ses fils m'ont semblé aussi très
naturels. Ils sont sensuels, mais jamais contre-nature. Tout ça m'a plu
! (Rires)

Vous vous abandonnez beaucoup physiquement dans ce film. Y a t-il eu une
gêne initiale de votre part?

Evidemment, les premiers jours de tournage, au bord de la mer, dans mon petit
maillot, je me sentais un peu gênée. J'aurais préféré
tourner ces scènes un mois et demi plus tard, parce qu'après avoir
beaucoup nagé, m'être bien fortifiée, j'avais bien meilleure
allure. Mais quand je suis arrivée, comme ça, je me suis dite
: " Aïe, aïe, aïe ! " Mais bon, j'ai essayé
d'être le moins consciente possible de mon corps, de l'oublier. Généralement,
dans d'autres films, je n'avais pas trop de problèmes avec mon corps.
Mais là, je me sentais un peu gênée ! (sourire) Je ne me
sentais pas jolie à cet instant, ce qui n'aide pas. J'étais donc
par la force des choses très conscience de mon corps.

Pouvez-vous me décrire l'atmosphère de tournage de la dernière
scène, quand tout le village pénètre dans la mer ?

J'adore cette scène. Je ne savais pas trop comment ça allait
se passer pendant le tournage, ni comment Emmanuel allait la monter. Mais quand
je l'ai vue à l'écran, j'ai été éblouie.
Voilà pourquoi la vision d'un réalisateur est si importante dans
un film. Emmanuel a fait un travail remarquable. Le crescendo du film est très
graduel. Il a distillé des petits moments de magie ici et là,
et finalement, à la fin, le film prend son envol et plane au dessus de
tout. L'histoire ne concerne plus seulement mon personnage, elle concerne tous
les rapports entre femmes, hommes, enfants, ainsi que leur rapport à
leur environnement, à l'eau. Le film devient pleinement universel, et
c'est magnifique.

Il y a quelques années, vous avez joué dans un film d'Andreas
Pantzis, Slaughter of the Cock, et pris par à sa production. Ce
film vous tient-il particulièrement à cœur ?

Oui, j'adore ce film. Il ressemble assez à Respiro, mais la violence
y est beaucoup plus extrême. Nous n'avions vraiment pas beaucoup d'argent
pour le faire, nous ne savions pas si le film allait être fini ou non.
Andreas Pantzis est un réalisateur chypriote très talentueux et
très isolé. Il n'y a malheureusement pas d'industrie du cinéma
en Chypre. J'ai fait un autre film avec lui, qui est actuellement présenté
au marché de Cannes. Et je veux toujours refaire des films avec lui,
c'est un vrai poète… Dans Slaughter of the Cock, j'interprète
une jeune femme sourde et muette. Peu de gens ont vu ce film, mais tant pis,
de toute façon, tous les films que j'aime vraiment, peu de gens les ont
vus ! (Rires) Mais bon, c'est comme ça, et puis on peut parfois faire
des films pour soi-même, pas toujours pour les autres.

Propos recueillis par Robin Gatto au festival de Cannes 2002