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Interview de Bruno Dumont et Julie Sokolowski (Hadewijch), par Cécile Rittweger

Hadewijch, un film qui fait dans la lenteur, mais qui décolle quand l’humour entre en jeu. LA projection a eu lieu à midi, et à 17h je retrouve l’actricep rincipale Julie Sokolowski à l’hôtel Maria Cristina, avec qui je converse fort agréablement en attendant que Bruno Dumont nous rejoigne… Voici une refonte de notre entretien.

CR : Comment vous êtes-vous retrouvée à jouer dans ce film, alors que vous ne vous destiniez pas à être comédienne ?
 

JS : En effet, j’étais étudiante en licence Arts et Culture et je n’avais aucune envie d’être comédienne. Tout est partid’une rencontre. J’étais venue voir « Flandres » au cinéma de Villeneuve d’Ascq. C’était une projection en présence du réalisateur et le directeur du cinéma, que je connaissais, m’a invitée à boire un verre. J’ai donc discuté avec Bruno Dumont, il m’a trouvée sympathique et m’a demandé mes coordonnées.
 

Quelques mois plus tard, il m’appelle et me propose de faire de la figuration dans son prochain film. Je n’étais pas plus emballée que ça, mais on s’est quand même vu plusieurs fois et, en quelques mois, je suis passée de figurante à premier rôle !


Pourtant, j’étais partie comme je l’avais décidé à New York. En fait, c’est par une correspondance assez vague et puis de plus en plus axée sur le film que le choix de me faire jouer le rôle principal est devenu évident, pour lui comme pour moi. Il tentait de voir si je comprenais le propos du scénario, si je ressentais le personnage… Au début, pas du tout, puis, en me suggérant de faire le parallèle entre l’amour de l’héroïne pour le Christ et ma propre histoire d’amour que je vivais avec un new-yorkais, il m’a ouverte à la compréhension du film.


CR : Et ça ne lui a pas fait peur de prendre une comédienne non professionnelle pour jouer un personnage présent dans tous les plans ?


JS : En fait, il a d’abord fait son casting avec des professionnelles, mais elles étaient trop formées, pas assez « vierges » ; il a ensuite cherché parmi des religieuses, mais elles étaient trop enfermées dans leurs convictions… Je crois que ça lui plaisait de travailler avec quelqu’un qui ne se revendique ni religieuse ni comédienne.
 

Bien sûr, il a eu des doutes, mais qui n’en a pas. Il voulait miser sur la spontanéité. D’ailleurs, je ne pouvais rien anticiper car il me donnait les répliques à mémoriser le matin même. C’était vraiment au jour le jour.
 

Vous savez, en voyant le film, je perçois que dans les séquences finales j’ai pris de l’assurance, je suis moins à tâtons… Et tant mieux car ça correspond à l’évolution du personnage, d’une certaine manière, puisqu’elle passe de passive à active.
 

CR : Après cette première expérience de tournage, qu’envisagez-vous ? J’imagine que vous vous doutez qu’à la sortie du film on va vous faire des propositions…


JS : Après le tournage, je suis repartie quelques mois à New York, j’avais eu ma dose de fatigue et d’épreuves, il fallait que j’évacue tout ça en partant loin… J’ai donc rejoint mon amoureux, mais on a rompu peu après… Et puis maintenant j’ai commencé des études en philosophie. Bruno m’a transmis cette passion. Il m’a aussi transmis le désir de devenir réalisatrice. Mais pas celui de devenir comédienne. Si on me propose des rôles, je ne vais pas me jeter dessus ni accepter par principe. Tout dépendra de la rencontre.

 

CR : La rencontre avec Bruno vous a marquée.


JS : Oui, notre relation a été riche humainement, aussi bien avant que pendant le tournage. Il y avait d’ailleurs sur le plateau un climat très favorable, basé sur des rapports simples, sans artifice ni hiérarchie. Peut-être parce qu’on était tous des acteurs non professionnels ?


CR : Il y a bien dû y avoir des moments de tension, non ?
 

JS : Oui, bien sûr. Bruno m’a poussée très loin dans mes limites physiques et mentales. Et comme il saisit très bien le fonctionnement des acteurs avec lesquels il travaille, il lui était facile de me manipuler, et je détestais ça. Alors il y avait des coups de gueule.


CR : Il devait sans doute provoquer cette rage en toi pour la mettre au service du personnage, non ?


JS : Oui, comme il utilisait ma fatigue… J’ai vraiment souffert : je ne dormais pas beaucoup, j’avais froid et je ne pouvais pas me couvrir, même entre deux prises, il me faisait courir jusqu’à ce que j’en pleure…


CR : Oui, on voit que quand vous pleurez, ce ne sont pas des larmes artificielles. Vous parlez de la scène où vous arrivez en sanglotant devant l’autel ? Est-ce juste la souffrance physique qui vous amène à un tel état, où faisiez vous appel à des souvenirs personnels douloureux ?


JS : En fait pour toutes les scènes, je me servais de mon histoire d’amour new-yorkaise…
 

CR : D’où la grande sensualité qui émane du personnage. Ca crève l’écran.
J’imagine que c’était voulu par Bruno. Tiens, le voilà qui arrive, demandons-lui.

 

BD : Clairement, je voulais montrer que l’amour qu’elle éprouve pour le Christ correspond tout à fait à un amour pour un Homme.
C’est en lisant les textes médiévaux écrits par la mystique Hadewijch qu’est née l’idée du film. J’étais intéressé par les métaphores de l’amour mystique comme amour humain (et donc charnel)  

 

CR : oui, c’est vrai vous avez été professeur de philosophie. Pour vous, le cinéma est-il un moyen d’amener à la réflexion ?
 
BD : Il est un moyen de poser des questions sans rester dans l’abstraction, par le biais d’un réel qui a une terrible puissance d’expression. On me considère pour cela comme radical, mais pour moi ce qui compte c’est que ma démarche est sincère.
 

CR : Oui, il semble que vous soyez attaché à montrer une réalité brute, non travestie, non édulcorée. D’ailleurs, vous laissez le temps au spectateur de scruter cette réalité, plutôt que de chercher à recréer une autre réalité par un montage de plans courts  

BD : En effet, je privilégie les plans, qui permettent au spectateur de s’imbiber de tous les détails concrets du plan.


CR : C’est une marque certaine de confiance à l’égard du spectateur
 

BD : Oui, mais qui repose avant tout sur ma confiance envers les acteurs, car pour qu’un plan dure, il faut bien qu’ils soient suffisamment captivants, que ce qu’on lit sur leurs visages évolue… Donc je fais confiance à l’acteur pour faire confiance au spectateur, car en fin de compte c’est quand même à lui que je destine mes films !

 

CR : pour ce film, vous avez opté pour des acteurs non professionnels. Ce n’est pas la première fois. Qu’est-ce qui motive ce choix ?
 

BD : Certes, c’est un choix périlleux, mais qui apporte une dimension d’incertitude et de fragilité qui sont pour moi nécessaires.
 

CR : et puis vous pouvez mieux « manipuler » des novices….
 

BD : La manipulation va dans les deux sens : j’essayais de pousser Julie dans ses limites et elle de son coté me  disait non ou stop. L’essentiel est que cela se fasse dans la confiance. Ce qui a été le cas (ndr : elle approuve).

 

CR : Merci ! Et moi je vous fais confiance pour votre prochain film !
Cécile Rittweger

 

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Reporting by Inés Barreda de Biurrun, Bruno Chatelin and Juncal de la Fuente.

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